(Walfadjiri 13/04/2012)
Une brouille entre Dakar et Paris a précédé la chute de
Wade. Ceci explique-t-il cela ? En tout cas, pour sa première visite hors du
continent africain, Macky Sall a choisi la France. Outre les dossiers
économiques, beaucoup d’autres, plus ou moins gênants pourraient être au cœur de
ses entretiens avec Nicolas Sarkozy. (Correspondant permanent à Paris) –
Annoncé en France pour le 18 avril prochain, notamment par La lettre du
continent, le chef de l'Etat sénégalais arrivera à Paris dans un contexte de
campagne électorale française. Une situation qui plonge l'Hexagone dans une
léthargie. En effet, il ne faut pas s'attendre à de grandes annonces. Nicolas
Sarkozy n'est pas dans une posture de prendre de grandes décisions qui vont
engager son pays. Présentement, il n'évacue que les affaires courantes, en
attendant le renouvellement de son mandat ou l'élection d'un nouveau président
français. En ballotage défavorable dans les sondages du deuxième tour, Sarkozy
n'est pas certain d'être réélu.
Si le président de la République
s’accorde ce voyage dans un contexte français aussi incertain, la raison relève
sans doute de gages de bonne volonté pour un ancrage plus solide du Sénégal dans
la giron français. Les derniers mois passés par Wade à la présidence avaient des
brouilles, des accusations et des invectives, notamment autour de la légalité de
sa candidature. Défait après le second tour, il avait même refusé de prendre
Alain Juppé au téléphone pour le renvoyer à Madické Niang. Jamais dans
l’histoire entre le Sénégal et la France, les relations à un si haut niveau
n’avaient été aussi mauvaises.
L’ancrage du Sénégal dans le pré carré
français, Wade avait pris la tendance de s’y inscrire à fond, en effectuant lui
aussi son premier voyage en France, en 2000. Mais il s'était progressivement
démarqué de ce pays (même si le réseau Françafrique marchait encore à fond entre
Dakar et Paris, pour des intérêts économiques) pour se tourner vers les
Etats-Unis, les pays d'Asie et du Moyen-Orient. C’est avec l'organisation à
Dakar de la conférence sur le terrorisme, au lendemain de l'attentat contre les
tours jumelles de New-York, le 11 septembre 2001, que le virage de Wade vers les
Américains a commencé à pendre forme. Georges W. Bush était devenu l’ami à qui
on pouvait appeler pour discuter de la pluie et du beau temps.
Cette
«américanophilie» avait déplu aux autorités françaises qui voyaient ainsi leur
plus ancien pré-carré leur échapper progressivement. L’épisode avait même été
marqué par l'expulsion violente de Sénégalais sans-papiers. Fort de sa
légitimité électorale de 2000 et préoccupé par les ressentiments de l’opinion
publique, Wade avait également pris l'initiative de renvoyer quelques Français
du Sénégal. A l'époque, la presse sénégalaise avait qualifié ces deux expulsions
de «charters contre charters». La couverture de cet évènement par les médias
français a eu des répercussions sur l'opinion publique française. Ce qui a
amoncelé des nuages sur le trajet entre Paris et Dakar.
L'autre secousse
diplomatique entre le Sénégal et la France sera engendrée par le refus de Wade
de soutenir, à l'époque, la candidature d'Abdou Diouf à la tête de la
Francophonie en remplacement de Boutros Boutros Ghali. Alors que Jacques Chirac
voulait placer son ami qui venait d'être battu aux élections présidentielles du
19 mars 2000. D'ailleurs, le chef de l'Etat français avait fait savoir à son
homologue sénégalais que le candidat de la France à la tête de la Francophonie,
c'est Abdou Diouf. Pour éviter un camouflet diplomatique, le président Wade
consentira à soutenir Abdou Diouf.
Pour illustrer cette brouille entre
Dakar et Paris, marquée par l'orientation de la politique diplomatique du
Sénégal en direction des Etats-Unis et des pays d'Asie et du Moyen-Orient, il
faut rappeler que Jacques Chirac, a refusé de se rendre à Dakar en visite
officielle de 2000 à 2005, malgré les lobbies orchestrés par le président Wade.
Finalement cette visite officielle a eu lieu du 2 au 4 février 2005.
Avait-t-elle mis fin à cette brouille entre les deux hommes ? Voire.
En
tout cas, le soutien de Wade à l'intervention française en Côte d'Ivoire, en
novembre 2004, le remplacement par Jacques Chirac de l'ambassadeur français,
Jean-Didier Roisin, demandé par le président Abdoulaye Wade, furent des signes
de décrispation entre les deux pays. Même si, par la suite, d'autres crises ont
émaillé les relations entre Dakar et Paris, tout semblait allait pour le mieux
quand Wade a adoubé le Cnt en Libye et tourné le dos à Khadafi, devant ainsi le
premier pays africain à ouvrir le chemin à l’intervention de l’Otan ayant
conduit à l’assassinat de Khadafi. Mais la candidature de Wade est venue tout
brouiller encore.
Une brouille qui peut s'expliquer par le fait que
Abdoulaye Wade n'avait plus de bras droit lourd dans le landerneau politique
français et avait du mal à actionner les lobbies. Alain Madelin, son ami, ne
faisait pas le poids politique nécessaire pour influer en quoi que ce soit en
faveur du président Wade. Macky Sall en a-t-il ? Peut-être ! Car le nouveau
président sénégalais faisait des va-et-vient entre Dakar et Paris du temps de
son opposition à Wade. Durant ces voyages, il rencontrait des personnalités du
pouvoir ou proches du pouvoir. Ce fut le cas à quelques semaines de l'ouverture
de la campagne électorale quand il en a rencontrées au Fouquet's (célèbre
restaurant parisien, Ndlr) durant plusieurs heures.
On se rappelle aussi
que l'Ump, parti de Nicolas Sarkozy, s’était fait représenter à la cérémonie
d'investiture de Macky Sall comme candidat à l'élection présidentielle. Et la
présence d'Alain Juppé à la prestation de serment de Macky Sall a une grande
signification. Parce que, généralement, dans ces circonstances, c'est, au plus,
le ministre de la Coopération qui fait le déplacement, ou, même moins,
l'ambassadeur accrédité dans le pays. Mais cette fois-ci, c'est le patron de la
diplomatie française qui a tenu à se rendre au Sénégal.
En plus certains
observateurs soupçonnent Jean Pierre Bloch (communicant français, ancien soutien
de Wade, Ndlr) de jouer un rôle dans l'entourage du nouveau chef de l'Etat
sénégalais. Comme ils voient d'un mauvais œil la nomination du banquier Amadou
Kane, un ancien de la Bnp Paribas, comme ministre de l'Economie et des Finances.
Beaucoup de supputations avaient été faites après l’élection de Macky Sall, sur
les relations qui pourraient rendre le Sénégal encore captif des intérêts
économiques français. Cette visite à Paris a certes sa logique liée aux
«relations multiséculaires», mais elle va encore nourrir des doutes. A
lever.
AXE DAKAR-PARIS : Les dossiers qui gênent
La visite de
Macky Sall en France, le 18 avril, pourrait être marquée par certains dossiers
difficiles. Parmi lesquelles l'affaire du bateau Le Joola pendante devant la
justice française. Ce dossier est encore entre les mains de la chambre de
l'instruction du palais de justice de Paris. Cette chambre va rendre sa décision
le lundi 7 mai prochain. Une décision qui pourrait envoyer devant le juge les
sept personnalités sénégalaises accusées dans cette affaire par l'Association
des victimes françaises du naufrage du Joola. Le président Macky Sall, arrivant
à quelques jours de cette décision, peut être informé par Nicolas Sarkozy de la
suite judiciaire de cette affaire qui dure depuis un peu plus de dix ans
maintenant. Comme le chef de l'Etat français l'avait fait en août 2008 quand il
avait soufflé au président Wade le lancement des neuf mandats d'arrêt
internationaux de juge d'instruction d'Evry, Jean Wilfried-Noël.
Alors
quelle sera la réaction du président Macky Sall si son homologue français lui
apprend que la France décide d'ouvrir un procès ? En tout cas, Wade était
visiblement en colère lors de son adresse à la presse au sortir de cette
audience du mois d'août avec Sarkozy. D'ailleurs, pour camoufler cette colère,
le chef de l'Etat s'était défoulé sur la presse sénégalaise après le saccage des
locaux de 24 heures Chrono et de l'As. C'est dans ce contexte que Farba Senghor
avait été limogé de son ministère.
A ce dossier du bateau Le Joola
s'ajoute la question des sans-papiers sénégalais qui vivent dans l'Hexagone.
Ceux-ci ne comprennent pas que les Consuls généraux délivrent des sauf-conduits
qui permettent leur expulsion du territoire français. En cause, l'accord signé
avec l'Etat français sur l'immigration choisie chère au président français. Même
si les Consuls font des efforts pour délivrer moins de sauf-conduits. Macky Sall
et Nicolas Sarkozy en parleront-ils ? En tout cas, l'on sait que les Consuls
généraux sénégalais sont dans le collimateur du ministère de l'Intérieur qui
s'énerve du retard de délivrance du document précieux. Surtout que ce retard a
des conséquences sur la politique du chiffre qui vise l'expulsion de nombreux
sans-papiers. Les sans-papiers sénégalais voudraient certainement savoir la
nouvelle politique du président Macky Sall en la matière. Surtout que le Mali a
refusé de signer l'accord sur l'immigration tant que les sans-papiers maliens ne
seront pas régularisés.
Moustapha
BARRY
© Copyright Walfadjiri
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire