(Le Temps.ch 03/04/2012)
Les Sénégalais se demandent si Macky Sall, qui a prêté serment lundi comme quatrième chef de l’Etat du Sénégal, se retournera contre son prédécesseur pour demander des comptes.
L’alternance au Sénégal? Pape Madiege Mbaye l’attendait avec impatience. Comme beaucoup de ses compatriotes, ce petit bonhomme rondouillard a fêté dans la rue, le 25 mars, la victoire de Macky Sall, qui est officiellement devenu lundi le quatrième président du pays. Mais ce qui réjouit Pape, c’est surtout la fin des douze ans de règne d’Abdoulaye Wade. «Aujourd’hui, j’aimerais savoir ce que Wade et ses proches ont fait de tout l’argent qu’ils me doivent», gronde Pape, vite dégrisé de l’euphorie qui a saisi son pays à l’issue de l’élection présidentielle.
Sit-in pour des impayés
Réalisateur et producteur, il avait été chargé de la gestion audiovisuelle du troisième Festival mondial des arts nègres, le Fesman, qui s’est tenu à Dakar du 10 au 31 décembre 2010. «J’ai réalisé clips de promotion, filmé 43 manifestations! J’ai loué du matériel, payé une équipe de dix personnes! On n’a jamais reçu un centime», se lamente Pape, désormais ruiné. Il estime que les organisateurs de cet événement pharaonique lui doivent 25 millions de francs CFA (près de 400 000euros). Les responsables, il les connaît: la fille de l’ex-président Wade, Sindiély, 38 ans, et un ancien ministre, Abdou Aziz Sow. Tous deux ont été propulsés à la tête de cette «grande fête de l’Afrique qui gagne» qui s’est transformée en gouffre financier.
Dans un pays dévasté par la misère, 74 millions d’euros auraient été alloués à ces trois semaines de manifestations culturelles, avec un déficit de 35 millions d’euros. Faute d’être payées, des centaines de PME sénégalaises se sont retrouvées, comme la société de Pape, au bord de la faillite. «Nous avons constitué un collectif qui a manifesté quatre fois devant le domicile de Sindiély Wade», rappelle le réalisateur. Maintenant que le pouvoir a changé de mains, il entend faire valoir ses droits. Avant même que Macky Sall ne soit investi président, il a participé, la semaine dernière, à un sit-in pour réclamer les 680 millions de francs CFA (1 million d’euros) d’impayés dus aux prestataires du Fesman par l’Etat sénégalais.
Le nouveau président se retournera-t-il contre son prédécesseur pour demander des comptes? Voilà une question qui agite le Sénégal au lendemain de cette transition historique. Car le gaspillage du Fesman n’est pas la seule affaire à avoir gangrené le règne du «Vieux». «Il y a une vraie attente: aucun président ne peut s’installer au pouvoir aujourd’hui au Sénégal sans s’attaquer à ceux qui se sont enrichis sur le dos du pays», affirme Abdou Latif Coulibaly. Ce célèbre journaliste d’investigation a été l’un des premiers à dénoncer les dérives du régime Wade. «Le «Vieux» ne sera pas inquiété: à son âge, on ne va pas le traduire devant la Haute Cour de justice, tempère le journaliste, mais son fils a du souci à se faire.» Il s’agit en l’occurrence de Karim Wade, 43 ans. Depuis longtemps, le fils chéri de l’ex-président est l’objet de tous les soupçons d’enrichissement illicite. Nommé président de l’Agence nationale de l’organisation de la conférence islamique (Anoci), c’est lui qui a orchestré le sommet qui s’est tenu à Dakar en mars 2008. «Trente-trois millions d’euros ont été octroyés pour cette conférence. Pourtant, seuls 11,5 millions ont été dépensés. Où est passé le reste?» s’interroge aujourd’hui encore Abdou Latif Coulibaly.
«Rumeurs»
Le journaliste évoque dans la foulée les milliards confiés au fils prodige pour construire des villas présidentielles qui n’ont jamais vu le jour, ainsi que l’argent dépensé pour l’avion de l’ex-président sans passer par le contrôle du parlement. Sans compter les marchés attribués à des sociétés étrangères dans des conditions plus qu’opaques: «La gestion des aéroports, celle des autoroutes à péage ou du port de Dakar», énumère le journaliste qui voit l’ombre du fiston derrière toutes ces opérations. «Wade a toujours été fasciné par son fils, par sa façon de réaliser des montages financiers complexes», estime Abdou Latif Coulibaly.
Jeudi, à l’issue du dernier Conseil des ministres du président sortant, l’objet de cet opprobre affichait pourtant un grand sourire: Karim Wade, très décontracté, confiait avoir «beaucoup de demandes dans les milieux d’affaires» et ne pas se soucier de sa reconversion en quittant le poste de superministre qu’il occupait depuis 2009.
Les accusations dont il fait l’objet? Mercredi, son propre père avait pris les devants, déclarant que son fils «n’avait jamais géré d’argent». Au lendemain de cette curieuse déclaration, l’intéressé hausse les épaules: «Toutes ces rumeurs me passent au-dessus de la tête», commentait Karim Wade avec flegme dans le hall déserté de la présidence. Pour combien de temps? Dès vendredi, certains ténors de l’opposition réclamaient un audit sur les affaires gérées par Karim. Et même au sein du parti de Wade, le PDS, des voix dénonçaient «l’enrichissement abusif et en un temps record» des proches de l’ancien président.
Maria Malgardis dakar
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