(Par Babacar Justin Ndiaye)(Dakaractu
13/04/2012) «
J’ai décidé de vous remettre ma lettre de démission que vous allez remettre aux
autorités compétentes, pour permettre l’exercice plein et entier de la
disposition de notre article 36 ». Ainsi s’exprime Amadou Toumani Touré qui, en
ce début du mois d’avril 2012, quitte la scène politique de son pays sur
laquelle il avait fait irruption, un mois de mars 1991, en destituant un autre
Général, en l’occurrence, Moussa Traoré. Mais à qui ATT remet sa démission ? Aux
neuf sages de la Cour constitutionnelle du Mali ? Non. L’ancien Président du
Mali place sort et son destin dans les mains d’un Colonel de gendarmerie devenu
le ministre des Affaires Etrangères le plus célèbre d’Afrique de l’Ouest :
Djibril Bassolé. Une mélange de Metternich et de Kissinger. Il est au service de
Blaise Compaoré qui en a fait un Proconsul dans le Mali en lambeaux, comme
jadis, le Général Mc Arthur dans Pacifique.
A Bamako où il a établi ses
quartiers, le ministre burkinabé a obtenu la reddition du Capitaine Sanogo,
sécurisé l’aéroport et accueilli le Président intérimaire Dioncounda Traoré.
Bref, Bassolé régente tout pour le compte de son patron Blaise Comparé, le
Bismarck du Sahel. Quelle prouesse diplomatique ! Le Burkina qui était en guerre
avec le Mali, en 1986, autour de la bande frontalière et litigieuse de
l’Agacher, est maintenant le tuteur du Mali coupé en deux et squatté par des
hors-la-loi de toutes nationalités.
Une illustration de la montée en
puissance de Ouagadougou dans les espaces mitoyens de l’Afrique de l’Ouest et du
Sahara, qui efface ainsi la légendaire diplomatie du Sénégal, longtemps
locomotive dans la sous-région. Hier, un nain diplomatiquement anonyme, la Haute
Volta du pâle Maurice Yaméogo et du débonnaire Lamizana, est aujourd’hui, un
mastodonte géopolitiquement visible et virevoltant. Au point d’éclipser des pays
mieux lotis en ressources économiques et humaines comme la Côte d’Ivoire et le
Sénégal. Et même le Nigeria géant mais vacillant sous les coups de boutoir du
Boko Haram.
En devenant la capitale politique du Mali, Ouagadougou dégage
Dakar de l’épicentre de la vie diplomatique. Une longueur d’avance qui constitue
le parfait baromètre de l’influence déclinante du Sénégal dans la sous-région où
son affaissement a succédé à son rayonnement d’antan. Sur ce dossier malien qui
touche aux intérêts vitaux du Sénégal (économiques et sécuritaires) Dakar est
fâcheusement à la remorque de capitales (Abidjan, Abuja, Cotonou et Ouagadougou)
munies d’agendas établis et exécutés sans le moindre rôle de premier plan pour
le gouvernement sénégalais
Certes, le Sénégal était en pré-campagne et en
campagne électorales, au début et durant tout le film de la désintégration du
voisin de l’Est, mais une durable percée diplomatique reposant sur des acquis
solides (prestige des dirigeants et image du Sénégal) aurait imposé aux chefs
d’Etat du Bénin, du Burkina, de la Côte d’Ivoire et du Nigeria, une très forte
implication – dans l’analyse et dans la prise de décision – de l’unique pays de
la sous-région ayant fait ses premiers pas sur la scène internationale, en 1960,
dans une entité fédérale dénommée : Mali. Une aventure pionnière en matière
d’intégration à laquelle les Etats les plus actifs, aujourd’hui, dans la
résolution de la crise malienne, s’étaient farouchement opposés.
Et
pourtant, l’héritage n’a pas fait défaut. D’abord, le Président Léopold Sédar
Senghor très imbu de méthode avait théorisé et pratiqué le déploiement
diplomatique suivant les cercles concentriques. Donc priorité aux Etats voisins
avec lesquels il fallait (il faut toujours) tisser des relations de confiance
qui sont les meilleurs vecteurs de sécurité pour le Sénégal. Démarche couronnée
de succès, sauf du côté de la Guinée-Conakry où les options radicalement
révolutionnaires de Sékou Touré s’opposaient aux vues de Senghor. Démarche
étendue progressivement au reste de l’Afrique, puis au monde arabe et enfin à
l’Asie. N’empêche, les deux épines dorsales de la diplomatie « senhgorienne »
ont toujours été les axes Dakar-Paris et Dakar-Rabat. Ensuite, Abdou Diouf a
maintenu le cap, en gommant quelques aspérités que l’anticommunisme de Senghor
avait créées ici et là. Le Président Diouf a, par exemple, reconnu le
gouvernement angolais du Mpla puis fermé le bureau de l’Unita à Dakar. Il a
également renforcé la coopération avec les pays arabes modérés et riches (Arabie
Saoudite et Koweït) et accru la solidarité avec la Palestine. Ce qui lui a
permis d’accueillir, en 1991, le premier sommet de l’OCI en Afrique au sud du
Sahara.
En 2000, la rupture a été opérée par Abdoulaye Wade. Positive dans
les mobiles (fin du tête-à-tête avec la France et quête tous azimuts des
investissements et des transferts de technologie) elle a été catastrophique dans
le style. En effet, Wade – qui est un virtuose de la politique et non un orfèvre
de l’Etat, encore moins un as de la diplomatie, – a brouillé l’image du pays par
un comportement souvent altier. N’a-t-il pas, à Durban, échangé des phrases de
feu avec ses collègues, les qualifiant de putschistes ayant troqué leurs
treillis contre des costumes pour faire plus démocrates ? Des propos et des
péripéties qui sont aux antipodes des manières consacrées par la diplomatie.
Laquelle est selon Andrei Gromyko : « L’art de réduire le nombre de ses ennemis
et d’augmenter celui de ses amis ». En douze années, la diplomatie « wadienne »
a provoqué des reflux de l’audience du Sénégal, respectivement à Conakry
(proximité avec Dadis Camara) à Banjul, à Bissau et Nouakchott. Dans ces trois
dernières capitales, on n’a ni oublié ni pardonné la petite phrase d’une
interview publiée par JA en 2000 : « Je vais en France chercher des armes afin
d’obliger les petits pays à respecter le Sénégal »
Par ailleurs, en
pratiquant la diplomatie sans frontières – le Sénégal est évidemment libre de
nouer avec qui il veut mais avec précautions – Abdoulaye Wade (emporté par sa
hardiesse) s’est embarqué avec l’Iran, dans une liaison qui a failli être fatale
au travers de la sombre affaire de cargaison d’armes découverte à Lagos en 2010.
Ce contact prolongé avec un « roque State » ou Etat voyou selon la terminologie
américaine, n’est sûrement pas étranger à la sourde hostilité de Washington qui
a débouché sur les critiques abruptes du Sous-secrétaire d’Etat Carson durant
tout le processus électoral de février et de mars de 2012.
Mais la goutte
d’eau ayant fait déborder le vase africain, a été l’escapade de Benghazi, en
2011, par laquelle Sarkozy a utilisé Wade pour ébrécher le mur africain que l’UA
a dressé contre l’Otan. C’est le point de départ d’un isolement accéléré du
Sénégal qui a culminé avec les violences préélectorales de Dakar, durant
lesquelles Wade (médiateur devant l’Eternel) a fait montre d’une rigidité face à
la médiation d’Obasanjo.
Aux dégâts causés par la doctrine et le style,
s’ajoute le chambardement provoqué dans l’appareil diplomatique par des
nominations abusives qui ont bousculé les gens de la carrière. Et éliminé la
crème au profit de la lie. Des promotions d’inspiration népotiste qui ont
injecté une dose d’amateurisme aux effets désastreux. Sans oublier
l’élargissement spectaculaire et coûteux de la carte diplomatique du Sénégal qui
traduit une volonté de présence (présence n’est pas influence) ; mais fait
l’impasse sur le reclassement urgent des postes, au vu des évènements maliens,
des incertitudes bissau-guinéennes, des problèmes récurrents des pécheurs de
Saint-Louis dans les eaux mauritaniennes etc. Et depuis une semaine, les
tracasseries subies par la colonie sénégalaise dans les villes de la Mauritanie.
Les contre-performances diplomatiques que la crise malienne met en exergue,
inciteront immanquablement le Président Macky Sall à reprendre en main la
diplomatie (chasse gardée et constitutionnalisée du chef de l’Etat) afin
d’astiquer l’image du Sénégal qui est…le pétrole du Sénégal. Pareille
renaissance diplomatique passe par le catapultage des diplomates chevronnés aux
commandes de la diplomatie. Le vivier existe. En plus, il est adossé à un
héritage incarné encore dans les mémoires par des ministres imposants et des
ambassadeurs excellents dont certains sont encore en vie : Me Doudou Thiam, le
Professeur Assane Seck, le Docteur Amadou Karim Gaye et, plus près de nous,
Moustapha Niasse, Djibo Ka, Boissier Palum, le Malien Gabriel D’Arboussier
(premier ambassadeur du Sénégal à Paris) Latyr Kamara (inamovible doyen du corps
diplomatique à Addis-abeba) André Guillabert, Claude Absa Diallo etc.
Pour
la reconquête d’un leadership sénégalais devenu orphelin sous Wade, il urge de
mobiliser la crème des ambassadeurs (y compris certains atteints par la limite
d’âge) de la trempe du Général Mountaga Diallo ou de Doudou Salla Diop. Dans le
voisinage immédiat (Mali, Mauritanie et les deux Guinée plus la Gambie dans nos
intestins) Dakar doit, sans complexes, nommer ses meilleurs plénipotentiaires. Y
compris les plus gradés pour justement accomplir des missions extraordinaires.
Donc limitées dans le temps mais précieuses pour la stabilité du Sénégal. « La
Corrèze avant le Zambèze » s’époumonait le très chauvin journaliste Raymond
Cartier. On doit convenir que Bissau est plus importante que Bangkok, malgré les
tonnes de riz qui nous arrivent des rizières du golfe de Siam.
Ces
correctifs ne dévalueront en aucun cas des axes traditionnellement solides comme
Rabat et Paris. C’est précisément à Paris qu’il faut positionner un ambassadeur
d’envergure et de valeur, capable de dominer la relation franco sénégalaise
vraiment multiforme et ancienne. Les affinités doivent s’effacer devant l’enjeu
et l’épaisseur de l’enjeu. Doit-on – au nom d’une parité cosmétique – nommer en
France une femme incapable de discuter des questions urgentes de renseignement
avec le directeur de la DGSE, et en retirer sans raisons, son prédécesseur
Doudou Salla Diop qui a participé aux travaux du 29 mars 1974, ayant débouché
sur la révision des accords de défense entre le Sénégal et la France ? La
diplomatie ne saurait être l’apanage des copains et des coquins.
Décryptage Par Babacar Justin NDIAYE
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