(Sud Quotidien 18/02/2013)
La pensée de Cheikh Anta Diop et celle d'autres éminentes
personnalités africaines doivent constituer un viatique pour le développement du
continent noir. Forts de cette conviction, des universitaires ont plaidé
l'introduction des langues nationales dans l'enseignement en raison de leur
aptitude à faciliter l'acquisition du savoir.
C'était à l'occasion d'une
table ronde organisée à l'Ucad, ce jeudi, et placée sous le thème : «
L'actualité de la pensée de Cheikh Anta Diop ».
Présidée par le Pr Amadou
Mactar Mbow, ancien directeur général de l’Unesco et ex-ministre de l’Education
au Sénégal en 1966, la table ronde a permis à d’éminents universitaires de
revisiter l’actualité de la pensée de Cheikh Anta Diop dont on commémorait la
disparition intervenue il y a déjà 26 ans.
Des réflexions et échanges de
haut vol de ces intellectuels parmi lesquels on notait entre autres, le Pr Arame
Fall Diop, le Pr Aboubacry Moussa Lam du département d’Histoire, le Dr Dialo
DIop, le Pr Fatou Kiné Camara, il est ressorti une constante partagée par tous
les panélistes. Celle de voir la maitrise du savoir être au cœur des
préoccupations des uns et des autres pour booster nos pays vers le
développement.
Pour arriver à cet état, l’introduction des pensées de
certains panafricanistes dans l’enseignement, sous la houlette des langues
nationales, s’avère un impératif. “Nous ne sortirons jamais de la situation dans
laquelle nous nous trouvons, si nous-mêmes nous ne réussissons pas à capter les
savoirs qui sont les plus élevés au monde mais aussi à créer des savoirs“, a
laissé entendre le Pr Amadou Mactar Mbow, lors de son discours de clôture de la
table ronde.
Poursuivant son argumentaire, l’ancien directeur général de
l’Unesco a interpellé les peuples africains en ces termes: “je pense que notre
destin nous appartient. C’est à nous de le changer, et nous ne le changerons pas
tant que nous nous ne ferons pas l’effort d’acquérir des savoirs, de penser de
manière autonome. Et non de chercher d’autres pour penser à notre place“. Si la
politique d’acquisition de connaissances est un impératif pour le développement
des pays africains, il reste que sa mise en œuvre doit passer toutefois
obligatoirement par les langues locales.
S’inspirant de l’exemple de
Cheikh Anta DIop, le Pr Mbow précisera dans son exposé que “Cheikh n’était pas
seulement un théoricien, mais un praticien de l’utilisation des langues
nationales’’. Abondant dans le même sens, le Pr Arame Fall Diop a souligné que
“la Corée a réussi un important travail dans le développement de la langue
coréenne qui est enseignée dans les écoles publiques, alors que le Sénégal
voulait se développer avec une langue qui n’est pas la sienne. Depuis 1960,
Cheikh Anta Diop défendait cette problématique de la politique linguistique
adaptée à nos réalités et à nos exigences de développement“. Toujours dans son
exposé, la linguiste et par ailleurs ancienne camarade de classe de Cheikh Anta
Diop, qui a par ailleurs traduit en wolof ses différentes productions, a
expliqué que: “la langue nationale est un vecteur de connaissances. Apprendre à
six ans une langue, c’est perdre son temps. D’ailleurs, les mathématiciens l’ont
évoqué. Les gens mettent beaucoup de temps à comprendre“.
Devant un
parterre d’étudiants, d’élèves, professeurs et autres disciples de Cheikh Anta
Diop, qui avaient fini de remplir la salle de conférence de l’Ucad 2, le
Président-modérateur Mbow a indiqué dans la foulée que “les choses commencent à
bouger. Nous-mêmes, au niveau des Assises nationales, nous avions traduit la
Charte de la bonne gouvernance en six langues nationales/ Nous comptons faire de
même pour la Constitution, le Code pénal et autres pour dire que la graine que
Cheikh Anta Diop avait semée commence à germer“.
Ignorance des pensées
africaines…
Très alertes, les échanges du public avec les panelistes ont
révélé beaucoup d’enseignements. « Pourquoi on ne nous enseigne pas la pensée de
Cheikh Anta Diop à la place de Tchang Kai-Chek ? », s’est interrogé un étudiant.
Une question qui a provoqué une vague d’applaudissements. En réponse, le
modérateur de la table ronde dira qu’il y a une “ignorance qui n’est pas le fait
de la volonté des gens mais il s’est trouvé que dans nos pays, il y a une vision
sélective de la mémoire“. Et d’ajouter : “Tous ceux qui ont eu des habitudes qui
ne correspondent pas à une certaine orientation ont été non seulement combattus
mais aussi leurs idées et travaux ont été ignorés“. Le Pr Dialo Diop ne dira pas
plus en déclarant que “si vous connaissez d’autres hommes et non Cheikh (Anta
Diop), c’est parce qu’on ne vous l’enseigne pas“. Le Pr Aboubacry Moussa Lam du
département d’Histoire qui note qu’il est impératif d’introduire la pensée de
Cheikh Anta Diop dans l’enseignement, fustigera, pour sa part, l’attitude
adoptée par les inspections d’académie dans l’élaboration des curricula sans y
associer les Historiens. “Nous allons nous atteler à introduire au niveau de la
réforme LMD, des unités d’enseignement transversales où on pourra étudier les
pensées africaines à travers les grands hommes du continent“, a-t-il
affirmé.
Cheikh Anta Diop, un esprit encyclopédique
A ce titre,
l’actualité de la pensée de Cheikh Anta est trop évidente pour être discutée,
ont fait savoir les panélistes. Pour cause, ont-ils indiqué, si les œuvres du
parrain de l’université de Dakar sont plus que d’actualité, c’est grâce à un
travail acharné de ce dernier dans plusieurs domaines, notamment l’énergie, la
politique, la culture, l’archéologie… Ce qui fera dire d’ailleurs au Pr Mbow que
cet intellectuel africain est “un esprit encyclopédique“. “Cheikh croyait au
savoir, à la connaissance. Nous avons été curieux de tout, pensant que nous
devions servir nos pays. Il a été un étudiant exemplaire et un chercheur
exemplaire“, a dit l’ancien patron de l’Unesco. Non sans exhorter les jeunes à
“lire l’article 2 de l’histoire générale de l’Afrique, publiée par l’Unesco.
Vous trouverez comment il a présente sa vision de l’Egypte avec les bases sur
lesquelles il s’appuie pour développer cette thèse“. Dans sa communication axée
sur la portée historique de la production de Cheikh Anta Diop, le Pr Lam a tenu
enfin à rappeler que “les professeurs de la Sorbonne (France) ont tout fait pour
tuer dans l’œuf l’œuvre de Cheikh Anta, lorsqu’il voulut soutenir sa thèse, mais
cette thèse se révéla comme une bombe parce publiée dans un livre sous le titre
Nations nègres et culture“.
Ibrahima Baldé
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Quotidien
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