(Afrik.com 18/02/2013)
Au fur et à mesure que son rôle économique marquait,
l’Organisation Internationale de la Francophonie se démarquait de son apparente
neutralité politique originelle. La Francophonie n’est plus seulement «
culturelle », elle se pique aujourd’hui d’environnement, de valeurs humaines et
démocratiques, bref elle s’arrime aux défis de son époque. Elle n’a certes
résolu aucun conflit armé, démonté aucune dictature, sauvé aucun mausolée,
rétabli aucun régime démocratique… Jusqu’ici en fait elle n’a pas pu se poser
autrement que comme une instance de moulage du verbe et de la parole
écrite.
Seule une nouvelle forme de colonisation pouvait tuer l’ancienne
culture coloniale française ; c’est donc à partir des structures et des schémas
qui avaient naguère présidé aux relations de la France avec les « indigènes »
que les bases techniques et conceptuelles de la Francophonie moderne se sont
progressivement élaborées et améliorées. Les critiques sévères et brillamment
argumentées des nouvelles générations d’intellectuels africains qui n’ ont vu
dans le rêve des pères de la Francophonie (Senghor, Bourguiba, Diori, etc.)
qu’une édulcoration des termes de la colonisation n’ont pas fait
école.
Peut-être parce que ceux qui la dénonçaient au grand jour allaient
dans des démarches paradoxales négocier des postes ou concourir pour des
fonctions une fois hors champ. Qui du reste peut franchement croire que le
Canada, la Suisse, et le Viêtnam par exemple sont de nouvelles colonies
françaises ? Ce qu’il y a donc eu, ce sont des attitudes de rejet tenant du
réflexe conditionné davantage que d’allégations sincères et
constructives.
La Francophonie, la France l’a officiellement envisagée
comme une chambre d’écho, un outil du « rayonnement culturel de la France » et
une « composante majeure de son influence dans le monde ». Ce qui en fait une
organisation très ethnocentrée, quoique (ou surtout que) désormais on lui
assigne les rôles de dénationalisation de la langue française et de promotion de
« la diversité des parlers francophones ». Le parti pris d’assimilation ne va
pas sans rappeler à la fois la politique d’inculturation dans l’Eglise
catholique romaine et les plus grands théoriciens de la méthode scientifique
dite de l’observation participante (« le premier moyen pour bien connaître les
sauvages est de devenir un d’eux »). Résultat des courses, le joual ou le créole
haïtien, au même titre que le wolof, le lingala, le bamiléké, ou le fulfuldé
seraient donc des langues francophones, et les bantous un groupe ethnique
français. Les ethnographes coloniaux ont fait leurs classifications, la
Francophonie d’Abdou Diouf a pu imaginer les siennes : toujours, évidemment, en
toute bonne foi. Dakar 2014 : qui la France a-t-elle short-listé ?
Abdou
Diouf, après s’être retiré du Sénégal dont il a été le président de la
république, se retirera, en 2014, de la Francophonie, après 11 ans de règne : un
homme qui sait durer ! Son mandat court jusqu’en décembre 2013 et, selon les
usages, à cette échéance, son successeur devrait être connu même s’il (ou elle)
ne sera confirmé qu’à Dakar, au cours du XVème sommet. Cette instance aux
allures de conclave laissera échapper sa petite fumée blanche. Ce n’est pas dans
le site de l’OIF en tout cas que l’on verra un appel à candidatures pour ce
poste si convoité. Après Boutros-Boutros Ghali, Abdou Diouf, s’achemine-t-on
vers le choix d’un dirigeant de la francophonie totalement apolitisé, reflétant
les préoccupations de genre, et, mieux que ses prédecesseurs, proche des gens et
de toutes les cultures francophones ?
Le titulaire du poste a rang et
privilèges de chef d’Etat (de chef d’Etat africain), « gère » un budget bien
supérieur à celui de l’Union Africaine, c’est un véritable monarque dans son
royaume. C’est tout naturel donc si par le passé il a fait rêver
l’internationale Calixthe Beyala. En 2013, après une « intercandidature » où
elle a « dechiqueté » sa chère France, défendu l’indéfendable Ggbagbo, est-elle
encore candidate à son propre rêve ? Calixthe Beyala est imprévisible et
clivante, ses chances sont à peu près nulles. Pourtant une femme à cette
fonction donnerait de l’allure à cette organisation qui chapeaute des opérateurs
(AUF, TV5, etc.) tous dirigés par des Français.
Voici trois suggestions
que Laurent Fabius devrait selon moi transmettre à son président de la
république :
Nahal Tajadod : elle est d’origine iranienne, c’est
peut-être un handicap, mais c’est une grande francophone devant l’éternel, d’une
culture voire d’une érudition rares, sa relative jeunesse (54 ans) et son genre
sont des atouts appréciables.
Nadia Benjelloun : Marocaine, c’est une femme
de culture reconnue
Abdourahman Waberi : c’est le seul nom d’Afrique de
l’Est qui me vienne à l’esprit, alors par souci d’alternance géographique, on
pourrait très bien faire appel à lui.
Abdou Diouf qui a été primé en 1996
par l’Académie française, et a une âme de successeur de Senghor, pourrait
peut-être prendre la direction de cette institution et devenir lui aussi
immortel… Mais un(e ) vrai(e ) retrait(e ) ne lui fera aucun mal, à bientôt 80
ans, il ne manque plus rien à son exceptionnel parcours, et tous les
octogénaires d’aujourd’hui devraient s’inspirer de la renonciation du pape
Benoit XVI, pour donner assez tôt leur chance aux nouvelles
générations.
lundi 18 février 2013 / par Éric Essono Tsimi
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