(Walfadjiri 18/02/2013)
Moussa Touré n’a pas été tendre avec Macky Sall. Invité de
l’émission Opinion sur Walf Fm et Tv, l’ancien ministre de l’Economie et des
Finances sous Diouf qui a renoncé à sa candidature à la dernière présidentielle
affirme que Macky Sall a été élu par défaut et ne fait guère mieux que Wade.
Extraits
Sort réservé aux conclusions des assises nationales
«J’ai
des regrets par rapport au sort qui a été fait à ce mouvement énorme, ce
mouvement du peuple sénégalais qui souhaitait une rupture profonde, vraiment
profonde, par rapport à tout ce qui s’est passé de 2000 à 2012. Et
malheureusement, nous n’avons pas vu trace de ruptures profondes comme nous
l’espérions. Je ne juge pas les personnes, mais la faculté des uns et des autres
à s’investir pour le pays. Mais, il faut reconnaître, malheureusement, je ne
cite pas de nom, je ne vise personne, que la chose la mieux partagée c’est la
politique professionnelle, la politique pour décrocher un poste à quelque niveau
que ce soit. Mais, ce n’est pas la politique que je prône. Ce n’est pas non plus
celle que je pratique».
Choix entre Wade et Macky
«Ce n’est pas
une erreur d’avoir élu Macky Sall. Mais, comme on dit, entre deux maux, il faut
choisir le moindre mal. Je disais et je le répète: choisir entre Wade et Macky
Sall avec lequel il partage les mêmes gênes, choisir entre Macky Sall et Wade
qui lui a transmis les mêmes gênes, c’est choisir entre la peste et le choléra.
Et jusqu’à l’heure où je vous parle, je n’ai pas de preuve contraire à ce que je
pensais à l’époque et que je continue à penser. Qu’est ce qui a fondamentalement
changé au Sénégal depuis la deuxième alternance? Au niveau des institutions,
rien n’a changé sauf le Sénat qui a été supprimé à la demande expresse et forte
du peuple sénégalais. Demande à laquelle le président a finalement accédé en
prétextant le financement des inondations. Dans le cadre des assises que nous
avions proposées, j’ai présidé une commission thématique qui proposait de
limiter le gouvernement à 25 membres. Aujourd’hui, nous sommes à 30 ministres
qui ont des portefeuilles. A cela il faut ajouter les ministres d’Etat, les
ministres conseillers, les conseillers techniques, les conseillers spéciaux,
etc. Aujourd’hui, ils sont aussi nombreux qu’au temps de Wade. Ce qu’on a
toujours décrié. De mémoire de Sénégalais, depuis l’indépendance, on n’a jamais
eu dans ce pays 10 à 15 ministres d’Etat. Il y avait peut-être un ou deux et
quelquefois pas du tout. C’est un titre qui a une valeur comme celui de ministre
et de président de la République qu’il ne faudrait pas dévaloriser. Les agences
rhétoriques et inutiles sont restées telles qu’elles. Mais le plus grave c’est
que, maintenant, on leur crée des postes de président de conseil
d’administration et de président de conseil de surveillance. Des postes pour des
agences qui n’ont pas leur raison d’être. A quoi sert l’agence de la maison de
l’outil ? Son existence déjà pose problème. Et maintenant, il me semble qu’on a
créé un président de conseil d’administration ou de surveillance».
On a
plus éliminé Wade qu’élu Macky Sall
«Je rappelle une phrase d’André Gide
qui disait: «Choisir, c’est moins élire qu’éliminer». Cette phrase illustre
parfaitement ce qui s’est passé le 25 mars. On a plus éliminé Wade qu’élu Macky
Sall. C’est mon sentiment, et c’est ce que beaucoup de responsables ne
perçoivent pas ou ne veulent pas percevoir. Macky Sall a eu 26 % au premier tour
de la présidentielle. Au deuxième tour 39 % des Sénégalais ont porté leur choix
sur lui. C’est ce que j’appelle choisir pour éliminer. Et de ce point de vue, je
ne crois pas qu’il soit très juste, peut-être même très honnête, de théoriser ce
programme «Yoonu Yokkute», parce que je persiste et dis : si 26 % des Sénégalais
ont adhéré, sans doute, à ce programme, les 39 % qui se sont ajoutés au deuxième
tour pour donner 65 % des voix à Macky Sall l’ont fait pour éliminer Wade. Parce
qu’il va de soit, comme beaucoup de Sénégalais l’ont vécu et pensé, que Wade
était le mal suprême, son régime était le mal suprême».
Présence de la
famille dans l’Etat
«Je suis déçu, parce qu’on nous a dit : ‘La patrie
avant le parti’. Mais, aujourd’hui, on peut dire valablement, sans se tromper:
la famille, la belle-famille, les amis, le parti et après, bien après, la
patrie. C’est à cela qu’on assiste. Ce à quoi on assiste aujourd’hui est pire
que ce que nous avons vu. Je ne suis pas contre le fait qu’on nomme un
responsable d’un parti à un poste. Mais, il faudrait qu’il ait le profil qui
corresponde au poste. Sur le plan institutionnel, on nous parle de bonne
gouvernance et de gouvernement sobre. Pourtant, le train de vie de l’Etat n’a
pas changé. Au contraire, il a même augmenté parce qu’on augmente les postes et
les fonctions. En outre, j’ai appris qu’on a récemment créé un consulat à
Bruxelles. Quand j’étais ambassadeur en Allemagne, j’ai traversé la Belgique en
2 heures, en venant de Bonn pour aller à Paris. La Belgique est un petit pays.
Par conséquent, une ambassade y suffit largement. Alors, on crée des consulats
et des postes qui ne servent à rien sinon qu’à caser des obligés et des amis.
C’est cela qui est détestable et insupportable».
Les 300 mille emplois :
une chimère ?
«L’Etat ne crée pas de richesse, il n’a pas non plus
vocation à créer des emplois. Créer des emplois bidons, fictifs, ce n’est pas le
rôle de l’Etat. Il doit, au contraire, créer les conditions permettant aux
entrepreneurs de créer des emplois. C’est cela qui fait marcher l’économie. En
outre, Macky Sall a promis de créer 300 mille emplois, mais il ne faut pas
rêver. Le Sénégal ne compte pas actuellement 300 mille salariés. Et depuis
l’indépendance jusqu’à aujourd’hui il ne compte pas plus de 300 mille emplois
légaux. Alors, on ne peut pas les créer en 3 ou 5 ans».
«L’économie ne
marche pas»
«Au début de l’indépendance, on a vu de nombreuses sociétés
d’Etat, mais elles ont siphonné tous les moyens de l’Etat. Et ce n’est pas à un
régime libéral qu’on va apprendre cela. C’est parce que l’Etat n’a pas vocation
à être entrepreneur. D’autre part, Macky a lui-même reconnu que l’argent ne
circule pas. Donc, l’économie ne marche pas. Certes, on ne peut pas faire le
bilan d’un gouvernement en un an. Mais, il faudrait qu’il ait des pistes
décelables qui permettent de penser qu’on est sur la voie de remédier à une
situation comme celle dont nous avons hérité du régime détestable de Wade. Cela
étant, on ne peut pas s’asseoir sur un constat et dire que ce sont les autres
qui sont responsables. Il y a des actions à faire pour que les Sénégalais
sentent qu’il y a des actions qui sont menées. Continuer à faire des marchés de
gré à gré, à faire du népotisme et à étaler un train de vie de l’Etat et en même
temps dire aux Sénégalais que l’heure est grave, c’est inacceptable. Car c’est
donner des signaux contraires. Et c’est ce qui fait que, dans le secteur privé,
les initiatives qui auraient pu se développer et faire bouger les lignes
n’existent pas».
Sentinelles et garde-fous
«Le Sénégalais de type
nouveau c’est tout simplement un discours. Puisque qu’on entend plus tous ceux
qui ont contribué de manière forte et massive au 23 juin 2011. Les partis
politiques, les organisations de Droits de l’Homme, les personnalités
apolitiques, etc. Tous ces ténors ont été casés à la Présidence, à la fondation
Servir le Sénégal de la Première dame. Alors qu’un pays comme tout être qui
respire a besoin du fonctionnement de tous ses membres. Un pouvoir a besoin de
sentinelle, de garde-fous et de contre-pouvoir. C’est cela qui doit amener à
réfléchir sur des actes que l’on prend. Mais s’il y a un unanimisme complet, si
les hommes politiques et droits de l’hommiste sont de l’autre coté et ne peuvent
plus dire ce qu’ils pensent, parce que c’est contraire à ce qui se fait, ce pays
est en péril. C’est ce qui s’est passé au Mali et il faut s’en garder. On peut
être une sentinelle pour surveiller et pas forcément être
contre».
Démission El Hdaji Malick Gackou
«Je l’ai connu dans le
cadre de Benno Siggil Sénégal. Au-delà des personnes, tout cela est une
conséquence de montage qui ne repose pas sur une réalité. Aujourd’hui, les
idéologies, si elles n’ont pas disparu, sont devenues très soft. Mais il y a un
socle qui demeure. Dans cette coalition Benno Bokk Yakaar, vous avez des
sensibilités qui vont de la droite jusqu’à l’extrême gauche. Tout ce monde est
réuni autour d’un soi-disant programme commun. Est ce qu’il y a une réalité de
conviction et d’ambition ? Il est évident qu’il y a problème. Il n’y a pas une
osmose. Quand vous êtes désignés par un parti politique pour être dans un
gouvernement, vous êtes ministre et vous êtes en même temps responsable de votre
parti. Après 2000, les départs successifs du gouvernement de Wade (Pit, Afp, Ld)
sont dus à cela. Ce sont des combinaisons faites autour d’intérêt
partisan».
Quinquennat
«Ça, on ne sait pas encore. La où nous
sommes aujourd’hui, je ne peux plus jurer de rien».
Cohabitation
Apr/Benno Bokk Yakaar
«Pourquoi des jeunes de l’Apr ont publiquement
agressé Serigne Mbaye Thiam, ministre de la République alors qu’ils sont dans le
même gouvernement ? Quand on gouverne ensemble, on ne se lance pas des
anathèmes. Personnellement, je n’ai jamais voulu me défausser sur mes
collaborateurs. Quand j’étais aux Finances, la présidence a voulu sanctionner un
agent du Trésor parce qu’on disait qu’il était responsable d’une bévue. J’ai dit
à Jean Collin (ancien ministre d’Etat, secrétaire général de la Présidence de la
République sous Abdou Diouf, Ndlr), s’il faut sanctionner, il faut commencer par
moi parce que c’est moi qui suis responsable de ce Monsieur. Il y a un problème
de dignité et de hauteur et une dimension d’homme d’Etat à avoir. Un homme pense
aux générations futures, un politicien pense à la prochaine élection. Nous
sommes en pleine politique politicienne au Sénégal. C’est quasi
permanent».
Avenir de Benno Bokk Yakaar
«Benno Bokk Yakaar a
atteint sa durée de vie normale. Ceux qui ont intérêt à le faire agoniser plus
longtemps vont si atteler, mais en toute logique d’ici les locales de 2014 qui
seront l’heure de vérité, c’est une chose qui est appelé à mourir de sa belle
mort. Même si on franchit le cap des locales, 2017 va arriver. Ce n’est pas sûr
que ces partis qui composent Benno Bokk Yakaar soient d’accord pour ne pas
présenter de candidat à la présidentielle et acceptent de s’aligner autour de
Macky Sall en ce moment-là. C’est un être qui est appelé à mourir de sa belle
mort tôt ou tard. Certains ministres ont tendance à virer du coté du président
au détriment de leur propre parti. (…) Essayer de tout canaliser empêche à notre
pays et à la démocratie de respirer».
Relations avec le
pouvoir
«J’aurais accepté de faire de la consultance gratuite au
président Macky Sall. Je ne vais pas m’en ouvrir à lui. Si je fais une offre,
c’est comme si je suis intéressé par un poste. On sait, dans ce pays, qui est
intègre et qui ne l’est pas».
Présidentielle de 2017
«Je ne suis
plus très jeune. Je ne ferai jamais de pari sur 2017»
Enrichissement
illicite
«J’y croirais s’il s’agissait de mesures concrètes qui ont été
prises. Ce sont des interrogatoires, des enquêtes... Il ne suffit pas de dire
que tel a volé ou détourné, il a rendu, on le laisse en liberté. Si c’était le
cas, les voleurs de poulets n’allaient pas être en prison. Pourquoi le voleur de
milliards transige alors que le voleur de poulet n’a pas cette possibilité ?
Soyons logique et clair. On ne doit pas les laisser partir comme des gens
vertueux».
Affaire Habré
«Je suis pour l’ouverture du procès de
Habré. Il ne faut pas que la justice nationale et internationale soit sélective.
S’il est prouvé que tout ce qu’on lui reproche est vrai, qu’on le condamne. S’il
y a d’autres acteurs, ils doivent aussi payer. Je crains qu’il soit un
bouc-émissaire».
Rassemblés par Charles G. DIENE
& Pape NDIAYE
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