jeudi 31 janvier 2013

Baisse de l'impôt: Les salariés prêts à investir les gains dans le loyer, l’épargne…

(Le Soleil 31/01/2013)
El Hadj Ibrahima DIOP, directeur de la législation, des études et du contentieux à la DGID : « Plus le salaire est bas, plus le travailleur bénéficie de la mesure de réduction d’impôt »
Dans cet entretien, l’inspecteur principal des impôts et domaines et par ailleurs directeur de la législation des études et du contentieux à la Direction générale des impôts et domaines (Dgid), El Hadji ibrahima Diop, revient sur les tenants et aboutissants du nouveau Code général des impôts.

Selon lui, le nouveau code est élaboré sur la base d’une démarche participative. Il a repéré plusieurs mesures à haute portée sociale comme par exemple le droit d’enregistrement qui passe de 5 à 1 % pour l’habitat social.
Récemment, l’Assemblée nationale a adopté un nouveau Code des impôts. Quels sont les objectifs de cette réforme ?
Le Sénégal vient de connaître une réforme d’envergure de son système fiscal. Cette réforme fiscale est le fruit d’un long processus qui a commencé il y a plus de deux ans. Il s’est fait dans l’ouverture aux différentes parties prenantes, c’est-à-dire le patronat, les travailleurs, la société civile, les consuméristes, les partenaires au développement, etc.
Le nouveau code est élaboré sur la base d’une démarche participative. On a fait un diagnostic sans complaisance du dispositif. Ce qui nous a permis d’aboutir à des solutions qui, pour l’essentiel, sont consensuelles, nous permettant d’atteindre, au moins, quatre grands objectifs.
Quels sont ces quatre grands objectifs ?
Le premier de ces objectifs, c’est l’amélioration de la qualité formelle du dispositif fiscal. Dans le diagnostic, il nous a été donné de constater que le Code général des impôts est écrit suivant un langage très complexe. En effet, l’impôt n’est accepté que quand il est compris. Il nous fallait donc envisager de réécrire le dispositif en vue d’une plus grande simplicité. C’est un objectif de simplification qui passe par un certain nombre d’exemples. Pour calculer l’impôt sur le revenu, les dispositions étaient d’une complexité telle que, quelque part, beaucoup de gens avaient du mal à se retrouver. L’objectif a été d’élaborer de nouvelles règles écrites dans un langage extrêmement simple. On est allé même jusqu’à simplifier les obligations déclaratives des contribuables, comme c’est le cas avec les titulaires des revenus fonciers jusqu’à un certain niveau ; c'est-à-dire 3 millions de revenu annuel. Aujourd’hui, calculer l’impôt dû au titre des revenus fonciers est devenu d’une simplicité remarquable dans la mesure où, maintenant, il suffit simplement de prendre le montant brut du loyer auquel on applique un pourcentage. C’est ce qu’on appelle la contribution globale foncière. Il y a aussi la procédure de formalité fusionnée.
Le deuxième objectif, c’est l’amélioration et le rendement budgétaire par l’élargissement de l’assiette de l’impôt. Dans le cadre de cette réforme fiscale, il y a un certain nombre de mesures qui sont prises. Je pense notamment à la hausse de l’impôt sur les sociétés, où le taux est passé de 20 à 30 %. Il y a l’institution d’un accord Bénéfice industriel et commercial (Bic) qui est un acompte qui sera dorénavant payé par tout importateur de produits figurant sur une liste que nous sommes en train d’élaborer. Cette mesure est une déclinaison d’une directive communautaire. Le Sénégal ne s’en était pas encore doté parce qu’on avait un impôt similaire qu’on appelait la taxe d’égalisation. En instituant cet acompte Bic à l’importation, tous les contribuables qui ne sont pas immatriculés trouveraient là une occasion de contribuer aux charges publiques. Il y a également la baisse du droit d’enregistrement à l’occasion des transactions immobilières. C’est paradoxal, mais le constat est que les taux importants conduisent toujours à une tentation à la fraude, à la minoration, à la dissimilation. Ce taux va passer de 15 à 10 %, il contribuera, peut-être, à des approches plus transparentes et les déclarations seront beaucoup plus importantes. Il y a surtout l’effort de rationalisation des dépenses fiscales.
Le troisième objectif, c’est l’équité fiscale. L’exemple peut en être donné à travers la décision de procéder à la baisse de la fiscalité sur les salaires, l’impôt sur le revenu des personnes physiques. En 2004, toutes nos réflexions avaient conduit à travailler à l’amélioration de l’environnement des affaires. C’est ce qui a conduit à prendre plusieurs mesures en faveur des entreprises. Le moment était venu, dans un souci d’équité, de faire un effort à l’endroit des personnes physiques, d’où la mesure de la baisse de la fiscalité sur le revenu. Il y a aussi l’institution du visa payant, c’est un peu une déclinaison de réciprocité. Il y a également l’institution de mécanismes de prévention et de lutte efficace contre la fraude et l’évasion fiscale aussi bien au niveau national qu’international.
Le quatrième objectif, c’est que cette réforme fiscale vise à instituer ce qu’il est convenu d’appeler un droit commun incitatif. Dans le diagnostic qui a été fait, notamment avec les dépenses fiscales, nous assistons à un florilège de régimes fiscaux qui prévoit, chacun en ce qui le concerne, des avantages fiscaux par moment, très importants qu’on n’avait jamais eu l’occasion d’évaluer comme nous l’avons fait en 2008. Le phénomène le plus saisissant, c’est que ce système a fini par avoir un véritable effet d’usure du système fiscal. Le système d’avant avait atteint ses limites. Il y avait, à côté du droit commun, une kyrielle de régimes qui étaient difficiles à maîtriser et qui facilitaient un peu les détournements de destinations. Ainsi, il est apparu nécessaire de faire en sorte que le code général des impôts soit le siège unique de toutes les dispositions de la fiscalité intérieure pour régler définitivement la question de la lisibilité. Ce régime de droit commun doit aussi favoriser la mise en place d’un environnement fiscal performant.
Les personnes morales trouvent-elles véritablement leur compte dans ce nouveau code ?
L’investisseur trouvera, dans le nouveau code, un dispositif d’accompagnement qu’on va appeler le crédit d’impôt pour investissement. C’est un mécanisme qui vous donne un avantage si vous procédez à un investissement ou à une extension d’entreprise. Dans le même ordre d’idées, quand une entreprise a vocation à faire de l’exportation, l’Etat lui consent un crédit d’impôt avec, en prime, la possibilité de ne plus être obligé de requérir et d’obtenir un agrément préalable. Pour cela, il faut remplir deux conditions. A la fin de l’année, il faut justifier avoir exporté au moins 80 % de sa production, faire une déclaration en bonne et due forme comme le réclame la législation douanière et, surtout, prouver l’effectivité de la domiciliation du produit de la vente réalisée à l’étranger.
Dans l’agrobusiness, la Tva qui grève l’investissement ne pouvait pas être récupérée. Dorénavant, avec le dispositif qu’on a mis en place, cette Tva sera récupérable. Il y a une deuxième génération de leviers d’actions qui constitue des mécanismes assurant une certaine attractivité par rapport à certains instruments financiers innovants. C’est le crédit bail, le capital risque, la finance islamique, etc.
A vous entendre parler, le nouveau Code général des impôts favorise un environnement des affaires de classe internationale ?
Nous pouvons le dire ; d’abord parce qu’il y a eu des améliorations sur bien des aspects de cet environnement fiscal. L’exemple le plus illustratif réside dans le fait que l’orientation majeure, en matière de fiscalité de l’entreprise, c’était d’abord de dire : « faisons des efforts remarquables dans le sens de moins taxer le capital ». Lorsqu’une société se créait, on lui réclamait des droits d’enregistrement, ce qui n’est plus le cas. En cas de restructuration d’une entreprise, de fusion ou de scission, il y avait un impôt de droit d’enregistrement qu’on réclamait aussi. Dorénavant, les niveaux de prélèvement sont minimes. Il y a aussi la Tva où nous sommes sur les standards internationaux. C’est une Tva de dernière génération qui assure une stricte neutralité sur le plan économique tout en permettant, par ce biais, de mobiliser des ressources pour le développement de ce pays.
Quelles sont les innovations phares concernant ce nouveau code ?
Il y a d’abord la baisse de l’impôt sur le revenu qui est une mesure de simplification du dispositif en vue de sa meilleure compréhension par le contribuable mais surtout en vue d’améliorer le pouvoir d’achat du consommateur. Autre mesure intéressante, c’est l’institution du régime du réel simplifié qui est un régime intermédiaire pour des entreprises qui ont un chiffre d’affaires qui oscille entre 50 et 200 millions de FCfa. On allège les obligations déclaratives du contribuable et on lui fait même bénéficier – à condition que son entreprise adhère à un Centre de gestion agrée (Cga) – d’un abattement fiscal de 15 % afin de l’accompagner dans l’effort de formalisation de son entité. L’autre mesure qui est extrêmement importante est la baisse des droits d’enregistrement sur les transactions immobilières. Je voudrais souligner la mesure à haute portée sociale c'est-à-dire le droit d’enregistrement qui passe de 5 à 1 % pour l’habitat social.
Les réformes concernent également la baisse de l’impôt sur le salaire qui est entré en vigueur depuis le 1er janvier. De façon didactique, pouvez-vous revenir sur cette baisse ?
S’il y a vraiment une mesure phare et à haute portée sociale dans cette réforme, c’est bien celle-ci. C’est une vieille demande. Avant, le système était d’une complexité inouïe et l’Etat a fait d’importants efforts. Pour cet impôt, il y avait la combinaison de deux taux, l’un proportionnel et l’autre progressif. Il fallait opérer deux abattements, un barème qui avait une structure à dix tranches avec un taux marginal de 50 %. Il y avait également un bouclier qui est de 50 %. Voila un peu la situation dans l’ancien régime. Nous avons simplifié les choses en instituant un taux unique progressif. Nous avons aussi rééquilibré le barème en le faisant passer de 10 à 6 tranches. Pendant ce temps, le taux marginal passe de 50 à 40 %. Il y a aussi le quotient familial qui favorisait, avant, les titulaires de haut revenu. Nous avons estimé que le moment est venu de le supprimer et de mettre en lieu et place un dispositif de crédit d’impôt pour personne à charge. Nous avons maintenant un système plus simple. Par exemple, un contribuable qui dispose d’un revenu annuel de tant aura un seul abattement. Un abattement de 30 %, limité à 900 000 FCfa et il entre dans un barème qui lui donne le montant de l’impôt brut. La loi permet à cette personne, sur la base du nombre de personnes en charge, de disposer d’un crédit d’impôt, et c’est le net qui va être payé. Maintenant, les contribuables, pour peu qu’ils aient ces informations, peuvent calculer par leurs soins propres le montant de leur impôt. C’est un premier objectif qu’il fallait réaliser à travers cette réforme. La deuxième chose, c’était de mettre en place un dispositif qui réduit le montant du prélèvement. Cette réduction est d’autant plus importante que les niveaux de revenus sont bas, le niveau de pression fiscale est psychologiquement et socialement acceptable. Plus le salaire est bas, plus vous allez bénéficier de la mesure. Jusqu’à 6 millions de FCfa de salaire annuel, soit environ 500 000 FCfa de salaire mensuel, généralement les baisses oscillent entre 15 et 100 %. D’après nos simulations, l’Etat va devoir renoncer à, au moins, 28,9 milliards de FCfa annuellement. Ces estimations ne tiennent pas compte des salaires alloués aux corps émergents.
L’Etat a décidé de supprimer les vignettes, mais en haussant en contrepartie de 10 FCfa le litre du carburant. Pourquoi cette nouvelle mesure ?
Dans la réforme, il y a aussi la recherche d’une plus grande efficacité dans l’effort de mobilisation des ressources. Nous avons constaté que nombre de propriétaires de véhicules ne s’acquittent pas de la vignette ou bien s’ils le font, ils ne paient pas la bonne. Le fait est que, comme l’a d’ailleurs révélé une étude, seulement 30 % du parc automobile s’acquittait de la vignette. Quand un impôt ne fait pas l’objet d’un contrôle efficace, il donne lieu à des rendements un peu faibles. Or, le seul moyen que l’administration a comme moyen de contrôle, c’est dans la circulation. Il fallait envisager une solution et nous avons pensé prévoir un montant dans le prix du carburant en le calibrant de manière telle que cela ne se ressentirait même pas. Ainsi, cette hypothèse a fait l’objet d’une étude approfondie avant d’être adoptée. Avec ce système, bon nombre de propriétés vont payer moins que ce qu’ils avaient l’habitude de payer pour la vignette, avec l’avantage, pour l’Etat, de couvrir un champ beaucoup plus large. L’administration qui ne payait pas de vignette va maintenant le faire en achetant le carburant. Tout le monde va passer à la caisse. C’est une manière également de rationaliser les dépenses fiscales. On est allé d’une taxe d’immatriculation à une taxe de circulation, suivant le principe pollueur-payeur. Cela permet d’améliorer le rendement de cet impôt.
Propos recueillis par Aly DIOUF
Les salariés se prononcent : Loyer, dépenses imprévues, bâtiment, épargne, destination du gain
La baisse de l’impôt sur les salaires, qui est entrée en vigueur en ce mois de janvier, est très bien accueillie par les salariés. Certains parmi eux ont déjà bien une idée de ce qu’ils feront des gains que leur fera générés cette mesure.
M. Diop, fonctionnaire : « Je n’ai pas encore reçu mon bulletin de salaire donc ce n’est pas concret à mon niveau. Il me faudra d’abord attendre de recevoir mon bulletin de salaire, peser le pour et le contre pour savoir si cette baisse n’a pas d’incidence ailleurs pour me déterminer. En tout cas, si c’est effectif, ce sera un gain substantiel pour moi qui pourrais régler certains problèmes. »
Bouna Bass Dièye, agent au ministère de la Jeunesse : « Au regard de mon salaire, je ne pense pas que la baisse sur l’impôt que je vais avoir me servira à grand-chose. J’aurais peut-être une augmentation de 15.000 FCfa. Si le gouvernement veut vraiment que cette mesure ait un réel impact sur le pouvoir d’achat des Sénégalais, il faut qu’il pense aussi à baisser les prix des denrées de première nécessité. Les deux mesures doivent aller de pair. Ce qu’il faut aussi, c’est diminuer le prix du loyer. Les Sénégalais comme moi dépensent le tiers ou le quart de leur salaire pour le loyer.
M. Diagne, chauffeur d’un directeur général : J’ai constaté une hausse de 29.000 FCfa sur mon salaire, ce qui veut dire qu’il y a effectivement une baisse sur l’impôt. On m’a coupé 3200 au lieu de 32.000 FCfa comme auparavant. D’autres collègues viennent de me confirmer, eux aussi, qu’ils ont constaté une augmentation sur leur salaire. C’est une très bonne nouvelle pour moi car ce gain va me soulager pour les frais du loyer que je paie à 35.000 FCfa par mois.
M. Camara, agent à la direction générale de la Fonction publique : Je n’ai pas encore perçu mon salaire, mais d’après les informations que j’ai reçues de certains de mes collègues, ils ont senti une énorme baisse de leur impôt et donc une augmentation très sensible sur leur salaire. Personnellement, j’aurais des économies qui tourneront entre 40.000 et 50.000 FCfa. Cela peut servir à payer mes factures qui attendent encore et m’acquitter du loyer.
Souleymane Diallo, élève-inspecteur en formation à la Fastef : Même si je n’ai pas encore reçu mon bulletin de salaire, je pense que cette mesure est à saluer car elle booste de facto les salaires et augmente ainsi le pouvoir d’achat des Sénégalais. Personnellement, je compte consacrer les bénéfices de ce que je vais en tirer au logement. Je serai plus armé, financièrement parlant, pour faire face aux dépenses quotidiennes et pourquoi ne pas finaliser mon projet de construction d’une maison.
Joseph Pama Diouf, enseignant du moyen-secondaire : Je ne sais pas encore combien la baisse de l’impôt me fera gagner sur mon salaire parce que je n’ai pas encore reçu mon solde du mois de janvier lequel tourne autour de 250.000 FCfa. Mais quel que soit le montant que je vais gagner avec cette baisse de l’impôt, cela va incontestablement participer à l’augmentation de mon pouvoir d’achat. Avec comme priorité les petites dépenses imprévues et la location.
Mamadou Bocar Sall : Je viens d’une mission et je n’ai pas encore reçu mon bulletin de paie. Mais d’emblée, je peux dire que cette mesure de baisse des impôts qui, conséquemment, augmente les salaires est très salutaire et significative. La première idée qui me vient en tête, avec le surplus, c’est de l’épargner en attendant de pouvoir l’investir dans un secteur pour le fructifier.
Bara Sylla, fonctionnaire : Je n’ai pas encore reçu mon bulletin de salaire, mais quand j’ai appelé au ministère de l’Economie et des Finances pour connaître ma position, j’ai constaté qu’il y a une augmentation de 25.000 à 30.000 FCfa sur mon salaire. C’est significatif. J’habite la banlieue et cette augmentation va m’aider un peu à m’acquitter de mon loyer et aussi à faire certaines petites dépenses quotidiennes dans un contexte où les prix des denrées de première nécessité fluctuent.
Mme Monotet Nicole, ingénieur-agronome : Il y a eu effectivement une augmentation sur mon salaire avec l’entrée en vigueur de la baisse de l’impôt. Mais je dois reconnaître que cette baisse, en ce qui me concerne, n’est pas trop sensible. Mais c’est toujours bon à prendre, je vais essayer de l’épargner pour des investissements futurs.
Mme Sall, agent au ministère de l’Agriculture : Je ne sais pas encore si cette baisse de l’impôt sera effective sur mon salaire de janvier car je ne l’ai pas encore perçu. Si c’est le cas, ce sera tout bénéfice. Dans un contexte où les prix des denrées de consommation courante augmentent à tout va, cela peut servir à atténuer les charges de ménage.

Propos recueillis par Elhadji Ibrahima THIAM
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