(Le Quotidien (Sn) 31/01/2013)
L’ambassadeur John Marshall est nommé en mai 2011 au poste
de Dakar avec une juridiction qui couvre la Guinée Bissau et le Cap-Vert. Il a
suivi avec beaucoup d’intérêt les mutations politiques survenues au Sénégal
l’année dernière. Dans cet entretien, il se félicite des acquis démocratiques au
Sénégal, qu’il voudrait voir consolidés, ainsi que des politiques de bonne
gouvernance qu’entreprend le gouvernement du Président Macky
Sall.
Excellence, la Grande Bretagne a décidé d’appuyer la coalition
formée pour mener la guerre aux islamistes dans le Nord Mali. Qu’est-ce qui
expli-que l’engagement de votre pays dans ce conflit ?
Nous sommes
profondément préoccupés par la situation au Mali et la menace que représentent
les groupes terroristes dans le Nord pour la stabilité régionale et la sécurité
internationale. Comme l’a déclaré le Premier ministre britannique, David
Came-ron, le 21 janvier, cette menace grandissante exige une réaction
internationale. Celle-ci doit être acharnée, intelligente, patiente et fondée
sur de solides partenariats internationaux. Le Royaume-Uni s’est engagé à
travailler avec le gouvernement malien, les pays voisins et les partenaires
internationaux afin de barrer la route au développement d’un nouveau pa-radis
terroriste aux portes de l’Euro-pe et pour redynamiser le processus politique au
Mali, lorsque l’avancée des extrémistes aura été stoppée.
Pourquoi la Grande
Bretagne n’envoie pas de troupes au sol pour combattre les islamistes ?
Nous
nous réjouissons de l’intervention militaire française qui fait suite à la
demande directe du gouvernement malien. Le Royaume-Uni appuie les efforts
déployés par les Français par le biais d’un soutien logistique et de l’échange
de renseignements. Cette contribution inclut un avion de surveillance basé à
Dakar. Toutefois, l’action militaire à long terme au Mali sera une opération
africaine destinée à soutenir l’Armée malienne. L’Union africaine organisera une
conférence des bailleurs de fonds à Addis-Abeba le 29 janvier et le Royaume-Uni
y sera représenté. Nous annoncerons l’octroi d’une enveloppe financière d’un
montant de 5 millions de livres sterling pour deux nouveaux fonds de l’Onu afin
d’appuyer le renforcement de la sécurité au Mali, dont 3 millions pour la Misma
(Ndlr : L’interview a été réalisée avant cette réunion). Les ministres des
Affaires étrangères des pays de l’Union européenne sont convenus de l’envoi
d’une Mission de formation militaire de l’Ue (Eutm) au Mali le 17 janvier pour
dispenser une formation et donner des conseils aux Forces armées maliennes. Le
Royaume-Uni est disposé à mettre à disposition un personnel composé de 40
membres dans le cadre de l’Eutm.
Ne craignez-vous pas un enlisement ? La
situation en Afgha-nistan ou en Irak ne risque-t-elle pas de se reproduire
?
La France a déclaré qu’elle aidera le Gouvernement malien à reprendre le
contrôle du Nord. En fin de compte, nous sommes désireux de relancer le
processus de négociation et de parvenir à un règlement politique au Mali. Nous
intervenons par le biais de l’Onu et de l’Ue, de concert avec les partenaires
régionaux, pour encourager une solution politique durable qui apporte la
stabilité au Mali et dans l’ensemble de la région.
Comment jugez-vous la
situation sécuritaire en Afrique de l’Ouest avec la montée de l’islamisme et le
développement des réseaux de narcotrafiquants ?
Il s’agit de deux questions
qui doivent être une source de préoccupation pour les pouvoirs publics dans la
région et l’ensemble de la communauté internationale. Les Sénégalais sont
ouverts, accueillants, pacifiques, tolérants et pieux et leur pratique du culte
le montre. Je suis convaincu que les musulmans sénégalais rejetteront toujours
un courant de pensée islamiste qui a été à l’origine de violence, de mauvais
traitement et d’horreur pour la population musulmane locale. S’agissant du
trafic de drogue, c’est une grande source de préoccupation pour nous dans la
mesure où la cocaïne qui transite par la région finit en Europe, notamment en
Grande Bretagne. La drogue apporte également la désolation. Nous devons mener
une action internationale concertée pour résoudre le problème dans les pays
producteurs, de transit et consommateurs. Une quantité importante de cocaïne
entre en Afrique de l’Ouest par le biais de la Guinée-Bissau. Malheureusement,
l’implication des leaders militaires bissau-guinéens dans le trafic de drogue
signifie que peu de chose peut être fait dans le pays même, ce qui renforce
l’importance d’une collaboration efficace entre les autres gouvernements dans la
région et la communauté internationale. Le gouvernement du Sénégal le reconnaît
et nous lui sommes reconnaissants pour les efforts qu’il déploie.
La Grande
Bretagne est très regardante sur les questions de gouvernance et de démocratie.
Comment se fait-il que votre pays s’accommode du régime de terreur imposé par le
Président Yahya Jammeh au Peuple gambien ?
Le Royaume-Uni reconnaît que la
Gambie a fait des progrès dans certains domaines sous le leadership du Président
Jammeh. Des progrès ont été enregistrés, par exemple, dans la réalisation de
nombreux Omd (Objectifs du millénaire pour le développement). Toutefois, nous
partageons la préoccupation de la communauté internationale face aux violations
des droits humains, notamment les restrictions à la liberté d’expression et les
violations de l’Etat de droit en Gambie. Le Royaume-Uni, de concert avec l’Ue,
l’Onu et l’Ua, a condamné les récentes exécutions. Nous avons clairement précisé
que nous sommes d’avis que la peine de mort est un châtiment cruel et inhumain
et nous ne pensons pas que les preuves ont montré que cela a un effet dissuasif.
Nous estimons que le dialogue avec les autorités gambiennes sur ces questions
est important. En conséquence, il est décevant que le gouvernement gambien ait
récemment suspendu tout dialogue politique avec l’Ue.
En matière de bonne
gouvernance, le Sénégal semble vouloir faire des efforts. Comment comprenez-vous
la politique de traque des biens mal acquis par les dirigeants du régime du
Président Wade ?
Nous la comprenons parfaitement. Notre Premier ministre
s’est longuement prononcé récemment sur la nécessité de s’attaquer aux causes de
la pauvreté et non à ses symptômes uniquement et sur ce qu’il appelle «le fil
d’or» des conditions qui permettent aux économies ouvertes et aux sociétés
ouvertes de prospérer : l’Etat de droit, l’absence de conflit et de corruption
et la présence de droits de propriété et d’institutions fortes. Une composante
clé de ce programme de développement consiste à améliorer la transparence et la
responsabilisation afin de veiller à ce que les élites corrompues ne soient pas
en mesure de gaspiller les recettes publiques y compris nos fonds de
coopération. Dans un article paru dans le Wall Street Journal, vers la fin de
l’année dernière, M. Cameron a affirmé que nous qui sommes dans le monde
développé devons faire le ménage chez nous, notamment par la traque et le
recouvrement des biens pillés. Ce thème de la transparence et de la
responsabilisation accrue et des pouvoirs publics ouverts, y compris dans les
industries extractives pour lutter contre la corruption qui freine le
développement et la croissance, sera une priorité absolue pour notre Présidence
du G8 en 2013.
Est-ce que la Grande Bretagne est disposée à aider le Sénégal
dans cette politique ? Le cas échéant, quelles aides pourrait-elle apporter
?
Nous avons accueilli favorablement l’accent mis par le Président Macky Sall
et le gouvernement du Premier ministre Abdoul Mbaye sur la bonne gouvernance et
je me réjouis que le Président semble déterminé à faire de la bonne gouvernance
un élément de l’héritage de sa Présidence. Le Sénégal a pleinement le droit
d’être fier de sa démocratie et de sa stabilité mais sans la bonne gouvernance,
votre développement continue d’être entravé. Avec la bonne gouvernance, un pays
a plus d’argent à dépenser et le dépense mieux. L’engagement du gouvernement du
Sénégal à améliorer l’environnement des affaires est également important. Il
incombera au secteur privé de créer la majorité des emplois dont le Sénégal a
besoin et non au gouvernement. Le rôle du gouvernement est plutôt de créer
l’environnement dans lequel le secteur privé peut devenir le moteur de la
croissance et le créateur d’emplois. Je vois l’un de mes rôles comme étant la
promotion des échanges commerciaux et de l’investissement qui peut appuyer la
croissance durable au Sénégal (et en Grande Bretagne !). De toute évidence, la
coopération doit jouer un rôle. Toutefois, le développement viendra uniquement
de la promotion de pouvoirs publics ouverts, d’économies ouvertes et de sociétés
ouvertes.
La Grande Bretagne serait-elle prête à saisir des biens sur son
sol appartenant à des citoyens sénégalais condamnés par la justice
?
Certainement, si les autorités sénégalaises introduisent une requête
formelle, soutenue par des preuves selon lesquelles les biens ont été acquis de
manière illicite.
De nombreux pays occidentaux se sont plaints du nombre
important de passeports diplomatiques sénégalais en circulation. Est-ce que
votre pays compte faire des restrictions quant aux passeports diplomatiques
sénégalais ?
Non, mais nous nous réjouissons certainement de l’intention du
gouvernement de diminuer le nombre de passeports diplomatiques
délivrés.
Quelle est la politique de délivrance des passeports diplomatiques
en Grande Bretagne ?
En Grande Bretagne, les passeports diplomatiques ne sont
octroyés qu’aux fonctionnaires (et à leurs ayants droit) accrédités dans des
missions à l’étranger. Aucune autre personne n’a droit à un passeport
diplomatique, pas même les ministres. L’on pense souvent qu’un passeport
diplomatique confère l’immunité. Tel n’est pas le cas. C’est l’accréditation qui
confère un statut, d’où l’immunité.
Quel est l’état de la coopération entre
votre pays et le Sénégal ?
Excellent, mais il reste toujours une marge de
manœuvre pour faire plus !
Quels sont les axes prioritaires de coopération
?
Nous avons établi un bon dialogue et instauré une bonne coopération sur les
questions politiques et sécuritaires. En notre qualité de Membre permanent du
Conseil de sécurité des Nations unies, nous avons une politique étrangère active
et nous nous réjouissons des échanges que nous avons avec le Sénégal sur, par
exemple, les menaces à la paix et à la sécurité régionale. Nous avons des
relations commerciales croissantes. Le Sénégal est notre troisième marché par
ordre d’importance en Afrique sub-saharienne, important des produits d’une
valeur supérieure à 900 millions de livres sterling (720 milliards F Cfa) de la
Grande Bretagne (principalement du pétrole et des produits pétroliers). Les
exportations sénégalaises vers la Grande Bretagne ont augmenté d’environ 25%
l’année dernière. Nous espérons que le récent accord de Double imposition et le
Forum sur le commerce et l’investissement que le gouvernement du Sénégal
envisage d’organiser à Londres, dans le courant de l’année, donneront une
impulsion supplémentaire. Nous estimons que près de 20 millions de livres
sterling (16 milliards F Cfa) de notre programme de développement sont dépensés
au Sénégal par le biais d’organisations multilatérales.
Est-ce qu’une visite
du Président Macky Sall à Londres ou celle du Premier ministre britannique à
Dakar est dans l’agenda diplomatique ?
Je l’espère.
par Madiambal
DIAGNE
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