(Le Figaro 29/02/2012)
DÉCRYPTAGE - Tanguy Berthemet, envoyé spécial du Figaro à Dakar, analyse les résultats du premier tour des élections sénégalaises.À moins d'un improbable revirement, le président sénégalais devra affronter un second tour à l'élection présidentielle. Abdoulaye Wade s'était tellement dit sûr d'une victoire directe que cela passe presque pour une surprise. Pourtant, bien des signes montraient que ce pari était pour le moins osé. « Wade a péché par orgueil. Il s'est refusé à voir qu'il n'était plus aussi populaire qu'avant ou en tout cas à l'avouer publiquement », analyse un diplomate.
En bon connaisseur des siens, Wade ne pouvait en effet pas totalement ignorer la grogne des Sénégalais. Son score, que les médias sénégalais estimaient mardi aux alentours des 38 %, n'est certes pas négligeable. Mais sa base électorale s'affaiblit, loin des 55 % de l'élection de 2007. L'analyse des chiffres des élections locales de 2009 révélait déjà que son parti, le Parti démocratique sénégalais (PDS), en dépit d'une très large coalition, n'était plus majoritaire. La tentative échouée, en début d'année, de faire passer une réforme constitutionnelle permettant l'élection au premier tour d'un ticket président et vice-président avec seulement 27 % des voix sonne d'ailleurs comme la preuve d'une certaine inquiétude.
Les déçus du changement
Cet essai grossier de «tripatouillage» fut sa première et sa plus grosse erreur avec cette volonté de se représenter à un troisième mandat en dépit des promesses passées de ne rien en faire. L'élite intellectuelle sénégalaise, composante essentielle de sa victoire historique de 2000, lui a alors définitivement tourné le dos. Ces hauts fonctionnaires et ces artistes, qui ne manquent jamais de rappeler que le Sénégal se voit comme une véritable démocratie, n'ont pas apprécié de voir le pays ravalé au rang d'un bête «régime africain».
La deuxième faute de Wade est celle d‘avoir trop négligé un autre des piliers de ces triomphes passés. Les jeunes urbains, qui s'étaient massivement mobilisés lors des précédents scrutins, boudent. La pauvreté, la vie chère et le chômage ont fait d'eux les principaux déçus du sopi - le changement en wolof - promis par Wade. L'enrichissement rapide d'une minorité n'a rien arrangé. Les coupures d'électricité, incessantes pendant une décennie, ont-elles aussi puissamment nourri la déception.
Reste pour le président le poids des confréries musulmanes qui le soutiennent toujours discrètement. Abdoulaye Wade n'a jamais caché son affiliation à celle des mourides, l'une des plus grandes et des plus puissantes du pays. Il a reconnu avoir été élu avec l'appui mouride et s'en est même allé à Touba, leur capitale se prosterner devant le khalife. Ce faisant, il a rompu avec une tradition qui voulait que les chefs d'État ne fassent pas étalage de ces liens religieux. Cela a choqué, même au sein des mourides, mais plus encore parmi les fidèles des autres confréries, comme les tidjanes, qui toutes cohabitent pacifiquement.
Enfin, quatrième bévue, Abdoulaye Wade a sans doute aussi sous-estimé ses adversaires, à commencer par son probable challenger Macky Sall. Malgré ces errements, Abdoulaye Wade a tenté lundi d'afficher sa confiance. Si le combat qui s'annonce pour lui est loin d'être aisé, le vieux président et les siens gardent des atouts. Le poids de la fonction offre bien des avantages tant logistiques que financiers. Il a surtout Wade lui-même, qui en tribun doué et politicien madré, n'est jamais meilleur qu'en campagne.
Par Tanguy Berthemet
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