mardi 20 mars 2012

La justice tranche le 07 mai: Les 1900 morts du Joola devant le juge français

(Walfadjiri 20/03/2012) 
Après deux heures et demie de plaidoirie, hier, le juge de la chambre d'instruction de Paris va rendre sa décision le 7 mai prochain. Et les deux parties retiennent leur souffle, même si elles peuvent se pourvoir en cassation si le juge ne va pas dans le sens voulu par l'une d'entre elles. Ce qui laisse entendre que la bataille de procédure n'est pas encore terminée.

C'est le 7 mai prochain que l'on saura si la justice française est compétente pour juger l'affaire du bateau Le Joola qui a sombré en 2002 au large de la Gambie faisant près de 1 900 morts. C'est l'annonce faite par les avocats des deux parties qui étaient, hier, devant le juge de la chambre d'instruction de Paris pour une audience qui a duré 2 h 30mn. Chacune des parties se dit confiante quant à la décision que va prendre le juge le 7 mai. Les avocats ont plaidé en exposant leurs arguments juridiques pour ou contre la requête de l'Etat du Sénégal qui demande purement et simplement l'annulation de la procédure contre les sept personnalités sénégalaises visées par la plainte déposée en France par les familles des victimes françaises du naufrage du Joola.
Pour Me Simon Ndiaye, un des avocats de la partie civile, la demande de l'Etat du Sénégal ‘n'est pas recevable parce que la Cour a déjà statué, et elle a dit tant que ces personnes-là ne se présentent pas devant la Cour, elles n'ont pas de statut de partie à la procédure’. Et ‘tant que quelqu'un n'a pas de statut de partie à la procédure, il ne peut pas faire une demande de nullité de procédure’, soutient Me Ndiaye. Son collègue, Me Rosenthal abonde dans le même sens. Il estime que dans le cas de M. Diédhiou qui avait été interpellé á l'aéroport Charles de Gaulle en partance pour l'Allemagne et mis en examen, donc partie à l'instruction, ses avocats n'ont pas déposé la requête en nullité le concernant dans les délais requis de six mois. Ce qui entraîne la forclusion de sa demande.Gomis Diedhiou qui avait déjà été ici et mis en examen, lui a déjà le statut de partie, il peut être fondé à faire la demande. Cela étant, la demande ne peut être faite que dans un délai de six mois.
Or, lui, il l'a fait à l'expiration de ce délai. Sa demande n'est donc pas recevable. Et Me Rosenthal d'ajouter que ‘toutes ces questions ont été tranchées lors de la précédente audience de la Chambre de l'instruction’. Ce qui fait dire à l'avocat Simon Ndiaye que la partie sénégalaise brandit des arguments pour ‘retarder le dossier’. ‘Or, nous nous battrons pour que cette affaire vienne un jour devant les juridictions françaises’, promet-il. Me Rosenthal est encore plus sévère quand il considère que ces arguments des avocats du Sénégal sont ‘des contrevérités en droit français et en droit international’. ‘Sur le fond, je me suis permis de donner un cours de droit international. C'était nécessaire notamment en droit maritime. C'est vrai que ce n'est pas évident de maîtriser ces matières qui sont atypiques’, considère l’avocat. Il insiste sur l'irrecevabilité de la demande sénégalaise. Même s'il reconnaît ne pas savoir ce que décidera le juge le 7 mai.
Les arguments des avocats de l'Etat du Sénégal
Cette forme de défense ne semble pas ébranler le pool d'avocats de l'Etat du Sénégal, formé de l'ancien Bâtonnier Félix Sow, de Me Massokhna Kane, d'Aïssata Tall Sall, de Me El Hadj Diouf. Pour balayer d'un revers de main les arguments de la partie civile, Me Massokhna Kane soutient que le procureur d'Evry avait demandé le non-lieu pour tout le monde. Ensuite, poursuit-il, ‘nos arguments reposent sur deux points : Cette recevabilité a fait réagir le parquet qui avait soutenu par le passé et qui soutient encore que ces personnes qui font objet de mandats d'arrêt ne font pas qualité de partie à la procédure, et que par conséquent elles ne peuvent pas faire une demande en annulation. Nous avons démontré que la demande est recevable dans la mesure où ces personnes ont reçu une notification du juge d'instruction en vertu de l'article 175 du code pénal français, notification du fait que l’instruction lui paraissait terminée et que si on avait des observations on pouvait les faire dans un délai de trois mois. Donc, usant de ce droit, nous avons présenté une demande d’annulation. Deuxièmement, c’est recevable pour Gomis Diédhiou qui est mis en examen’.
Me Kane ajoute : ‘Le deuxième argument porte sur l’incompétence des juridictions françaises. Elles sont incompétentes, et ça le procureur d’Evry l’a démontré devant le juge d’instruction. Incompétente en vertu de la convention de Montogobet sur le droit de la mer, incompétente en raison de la convention franco-sénégalaise du 29 mars 1974 qui prévoit que ce sont les juridictions sénégalaises qui sont compétentes dans ces domaines-là, et que tout ce que les autorités françaises peuvent faire, quand elles ont enquêté et eu des informations, c’est de simplement coopérer avec les juridictions sénégalaises pour mettre à leur disposition le résultat de leur enquête ou de leur instruction.
Si les juridictions françaises avaient des informations précises ou des résultats d’une enquête, elles devaient seulement, dans le cadre d’une assistance judiciaire, porter cela à la connaissance des autorités sénégalaises ; ce qui aurait peut-être permis à celles-ci de rouvrir le dossier du Joola. Ce qui est toujours possible’.
C'est à partir de tout cela que Me Kane pense que la Cour les suivra dans leur réquisition. Surtout que, pour lui, le code de procédure français permet qu’à partir de la mise en examen, la personne n'ayant pas déposé sa requête pendant les six mois légaux peut faire ‘valoir les observations tendant à annuler la procédure’. ‘Mais ce qu’il faut savoir qu’en vertu de l’article 175, lorsque Gomis Diédhiou a reçu la notification en même temps que les autres de la fin de l’instruction, il avait un nouveau droit de trois mois qui lui permettait soit de faire des actes, ce qui avait été fait en ce moment-là, soit de faire une requête en annulation. Donc, même si on disait qu’il était forclos parce qu’il a fait sa demande au-delà des six mois après sa mise en examen, à partir de la signification qui lui a été faite postérieurement, il retrouvait le droit de faire des observations et de faire une demande d’acte ; ce qui a été fait. Donc il a parfaitement le droit de faire une demande d’annulation de la procédure’, insiste-t-il.
Suffisant pour que Me Aïssata Tall Sall soit ‘optimiste’ quant à l'issue favorable de leur demande. Alors que va-t-il se passer si le juge prend une décision dans un sens ou dans un autre ? ‘Il est évident que si la chambre dit que la procédure doit être annulée, parce que les juridictions françaises ne sont pas compétentes, le dossier ne retournera plus à Evry. Si maintenant la Cour dit le contraire, le dossier doit retourner à Evry et là nous attendrons que le juge se prononce sur la base du réquisitoire du procureur d’Evry qui demande aussi l’annulation de la procédure’, explique Me Aïssata Tall Sall.
La cassation, dernière voie de recours
Dans tous les cas, les deux parties prévoient de se pourvoir en cassation si la décision du juge n'est pas en leur faveur. ‘Si nous ne sommes pas satisfaits de la décision de la chambre, il est évident que nous avons une voie de recours qui est la cassation. Si à contrario les parties civiles ne sont pas satisfaites, il est évident qu’elles introduiront un recours en cassation. Donc il y a encore un bon match de tennis devant nous qui n’est pas fini’, soutient l'avocate sénégalaise. N'est-ce pas faire obstruction afin d'éviter ou non un éventuel jugement en usant et en abusant la procédure ? Aïssata Tall Sall de répondre : ‘La procédure, c’est important. Parfois ça donne l’impression que les Sénégalais ne veulent pas être jugés. Mais si nous laissons passer cette affaire, demain tous les citoyens sénégalais, parce que justement il y aura eu une procédure judiciaire en France, ne seront plus protégés par leurs propres textes de loi. Voilà pourquoi, ce que nous faisons est important. Au-delà de toutes ces personnes impliquées, il est question de faire respecter un principe de droit national sénégalais qui doit recevoir application ici en France’, tente-t-elle de faire valoir.

Moustapha BARRY

© Copyright Walfadjiri

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire