Mise en ballotage au premier tour du scrutin du 26 février dernier par son ancien dauphin, Abdoulaye Wade 86 ans, vit ses derniers instants au pouvoir.
Par quel subterfuge Wade, le président du Sénégal, compte-t-il encore gagner? En dehors de son cercle restreint, très peu d’observateurs de la scène politique lui donnent des chances de sortir vainqueur du scrutin du 25 mars prochain.
Ils sont, presque tous, unanimes à penser que le vieux président est «battu d’avance». «Wade a fait le plein de ses voix au premier tour. Il a atteint ses limites avec ses 34,82% de suffrages», pense savoir un patron de presse sénégalais qui requiert l’anonymat. Car avance-t-il, «Wade a tout misé parce qu’il pensait qu’il allait emporter le scrutin dès le premier tour. Et dans ce cas, le fort taux d’abstention sera à l’avantage de Macky Sall. Son ancien premier ministre, qu’il affronte au second tour du 25 mars prochain bénéficie du soutien des 12 autres malheureux challengers à la présidentielle ainsi que de la société civile.
Alors que Wade, «seul contre tous», se raccroche désespérément au ndiguël (consigne de vote) de certains religieux tel que le guide des thiantacounes, Cheikh Béthio Thioune, qui espère-t-il pourra combler son vide avec l’aide des ses «11 millions de talibés». Seul, face à une alliance de treize partis réunies sous la bannière de Benno Bok Yaakar (Unissons nous pour l’espoir) en plus du soutien du mouvement du 23 juin (M23), de Youssou Ndour et du groupe Y’en a marre, le règne de Wade semble vivre ses derniers jours.
Wade: le dernier acte
Les signes sont évidents et pour bon nombre d’analystes politiques sénégalais, le vieux président joue le dernier acte du film de son parcours politique. Mais, malgré tous les commentaires et autres analyses qui le donnent perdant dans cet ultime combat, Abdoulaye Wade ne désespère pas. Il reste convaincu que le destin tournera encore une fois en sa faveur. Et n’a aucune intention de laisser la voie à Moustpaha Niasse, arrivé troisième, comme le prétendait une certaine opinion au lendemain de la débâcle des libéraux au premier tour de la présidentielle. Le vieil homme s’agrippe obstinément à son fauteuil et est décidé à livrer une bataille farouche à son ancien poulain, quitte à y laisser ses derniers souffles de vie. Et qui connaît bien Abdoulaye Wade, sait qu’il est doué plus que quiconque à ce jeu. Et le chantre du Sopi (changement) a encore mille et un tours dans sa vieille besace pour remporter ou pour faire main basse sur le jeu politique. Ce n’est pas pour rien qu’il fut surnommé, Ndiombor, du nom rusé du lièvre dans les contes et légendes africaines, par le président poète, Léopold Sédar Senghor.
Officiellement, Abdoulaye Wade est âgé de 86 ans. Et est né un jour de mai 1926 à Kébémer, département situé dans la région de Louga, mais il fut déclaré à la préfecture de Saint-Louis pour pouvoir bénéficier du statut de citoyen français en tant qu’habitant des quatre communes. Mais les mauvaises langues racontent que le petit Abdoulaye courait déjà derrière le cheval de Serigne Touba, fondateur de la confrérie mouride, à cette époque à la venue du guide religieux dans la ville. Mais c’est seulement en 1974 que les Sénégalais l’ont découvert, date de la création du Parti démocratique sénégalais (Pds). Cela fait 36 ans que les Sénégalais cheminent avec lui.
Et ils le connaissent bien. Raison pour laquelle, ils savent qu’il n’est jamais à court d’idées, encore moins de patience, pour avoir été l’opposant historique du Sénégal durant 26 bonnes années, pour arriver à ses fins quelque soient les difficultés ou les contraintes auxquelles il doit faire face. Le 25 mars prochain, on assistera à un Mortal combat, pour reprendre un titre célèbre d’un film de karaté, entre les deux leaders politiques du second tour. Seulement, le dénouement sera tout autre dans ce cas ci. Assistera-t-on à la fin héroïque de Wade, ou à la déconfiture d’un des plus grands leaders politiques que le Sénégal ait connu?
Pape du Sopi
Avant de mettre sur pied sa propre formation politique, Abdoulaye Wade n’était quasiment pas connu des Sénégalais. Il n’existe nulle trace de l’homme dans les archives des associations estudiantines africaines à l’époque où le mouvement de la Négritude battait son plein. Abdoulaye Wade n’a jamais été ce que Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire ou encore Kwamé Krumah ont été au sein de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF).
Fort heureusement, il eut en compensation une vie universitaire bien remplie. Entre 1951 et 1952, où Abdoulaye Wade s’envole pour la France, et suit des études en mathématiques. Il passe d’une faculté à une autre où il cumule les diplômes grâce au système des équivalences. Et obtient ainsi plusieurs certificats à l’université de Besançon et devient titulaire d’un doctorat en droit et sciences économiques à l’université de Grenoble. Après une brève carrière au barreau de Paris, Wade rentre au bercail pour plaider au barreau de Dakar et devient aussi enseignant à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad).
En 1973, il fait ses débuts en politique et devient responsable local du Parti socialiste. Mais, il connut réellement son heure de gloire en 1974, lorsqu’il obtint de Senghor l’autorisation de créer son propre parti.En août 1974, le PDS est mis sur pied. Dans un premier temps, il s’agit d’un parti fantoche, que le concepteur qualifie de parti de contribution pour ne pas frustrer Senghor, qui à l’époque gouvernait le pays d’une main de fer.En 1978, il se présente pour la première fois à l’élection présidentielle. Wade est le seul opposant à faire face à Senghor. Il perd l’élection mais réussit tout de même à se faire une place dans la vie politique. Avant la fin de son septennat, Senghor décide de quitter le pouvoir et passe le témoin à son dauphin, Abdou Diouf.
Wade, le démocrate
Abdoulaye Wade crie au scandale mais décide de se battre pour récupérer les rênes du pouvoir de ce président non élu. En 1983, Wade, 56 ans, affronte Diouf, un jeune de 45 ans, qui remporte l’élection haut la main avec un score de 83,3%. Mais, Wade ne baisse pas les bras et se remet très vite au travail. Il réussit à gagner en notoriété et son ouverture démocratique, lui confère l’étoffe d’un héros. En 1988, l’opposant courtise à nouveau le fauteuil présidentiel. Diouf remporte les élections mais Wade, lui conteste les résultats et dénonce un hold up électoral. Les Sénégalais descendent dans la rue et des émeutes éclatent dans le pays. Wade et les siens sont arrêtés et emprisonnés.
Après des pourparlers entre lui et Diouf, il décide d’intégrer le gouvernement à majorité élargie. Ainsi, d’avril 1991 à octobre 1992, Abdoulaye Wade occupe le poste de ministre d’Etat auprès du président de la République dans le gouvernement d’union nationale.
A l’approche de la présidentielle de 1993, il claque la porte et repasse à l’offensive. Abdoulaye Wade pense encore avoir gagné ces élections. Avant la publication des résultats, le vice-président du conseil constitutionnel, Me Babacar Sèye, est assassiné. Wade est soupçonné d’avoir commandité le meurtre. Lui et trois membres de son parti, sont arrêtés et sont relâchés trois jours plus tard, faute de preuves. Dans son ouvrage, Me Seye : un meurtre sur commande, le journaliste investigateur Abdou Latif Coulibaly affirme qu’Abdoulaye Wade est impliqué dans cette affaire.
Le brûlot qui est paru peu après l’accession de Wade au pouvoir a été censuré au Sénégal. Bien qu’il réfute avec véhémence y être mêlé, Wade gracie les assassins du juge et indemnise la famille du défunt, lors de son accession au pouvoir.
Un opposant au pouvoir
C’est seulement, le 19 mars 2000, grâce à une alternance, que les Sénégalais ont décidé de confier les rênes du pouvoir à Wade, après cinq tentatives infructueuses.L’opposant historique accède enfin au pouvoir. Mais la désillusion s’est très vite installée. Celui avec qui on pensait, la démocratie définitivement instaurée dans le pays, ne tarde pas à établir un régime de «complaisance». Wade a eu à, en 12 ans de règne, nommer 6 premiers ministres, quatre présidents de l’assemblée nationale, trois chefs d’état-major des armées et plus d’une centaine de ministres alors qu’il promettait de les réduire à 20.
Il rompt d’avec les traditions en tenant désormais son conseil des ministres dans la salle des Banquets, il nomme un commandant des sapeurs pompiers au grade de général. Comble de l’ignominie, en avril 2010, il élève son ultime édifice. Le fameux monument de la renaissance africaine, une arlésienne qui coute 14 milliards de francs CFA voit le jour. Le tout, au moment où la banlieue patauge dans les eaux putrides et fétides des inondations.
Alors que le débat sur la succession du président octogénaire fait rage et qu’il est soupçonné d’un projet de dévolution monarchique du pouvoir, Wade propose une modification du scrutin présidentiel en établissant un ticket, président/ vice-président qui l’élirait à 25 %. Les violentes manifestations qui éclatent à travers le pays l’obligent à retirer son projet. Le règne de Abdoulaye Wade n’a pas été de tout repos pour notre charte fondamentale. Sous son magistère, la Constitution a été modifié 14 fois. Plus qu’Abdou Diouf et Léopold Sédar Senghor en quarante ans de règne du parti socialiste.
Recul des libertés individuelles, journalistes et hommes politiques emprisonnés, manifestations réprimées dans le sang, gardes à vue et convocations tous azimuts devant les tribunaux: avec le régime de Wade, la démocratie sénégalaise a pris un sacré coup. Encore une fois, l’histoire donne raison au président poète, Senghor. N’est-ce pas lui qui déclarait avec humour en parlant de Wade qu’un «homme qui ne porte pas de cheveux ne peut diriger un pays».
Lala Ndiaye
© SlateAfrique
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