dimanche 25 mars 2012

Présidentielle au Sénégal: Jour J pour la démocratie

(L'Express 25/03/2012) 
Les Sénégalais ont commencé à voter dimanche pour le second tour de la présidentielle entre le chef de l'Etat sortant Abdoulaye Wade et son ex-Premier ministre Macky Sall.

Le challenger Macky Sall apparaît comme le favori logique du ballottage de ce dimanche. Même si le sortant Abdoulaye Wade aura jusqu'au bout actionné ses vieilles ficelles.
Alea jacta est. Le sort en est jeté, ou peu s'en faut. Depuis ce matin, les "A voté!" résonnent dans les 11900 bureaux du pays de la Teranga. Dès demain lundi, on saura. On saura qui du tenant du titre Abdoulaye Wade ou de son challenger, cadet et ex-filleul politique Macky Sall, héritera pour sept ans des commandes du Sénégal.
Sur le papier, c'est plié. Arithmétiquement, le sortant, crédité de 34,81% des suffrages au premier tour, doit faire le deuil d'un troisième mandat consécutif, au demeurant inconstitutionnel. D'autant que l'enfant de Fatick, classé deuxième le 26 février avec 26,58% des voix, bénéficie du ralliement, plus ou moins enthousiaste il est vrai, de tous les prétendants vaincus. A commencer par le madré Moustapha Niasse (13,20%), le socialiste Ousmane Tanor Dieng (11,30%) ou l'ambitieux Idrissa Seck (7,86%), autre "fils adoptif" de Wade frappé, comme le fut en son temps "Macky", d'une disgrâce sans retour.
"Tout sauf Ablaye"
Le jeune quinqua, géologue de formation, mise aussi à bon droit sur le soutien du M23, alliance hétéroclite de partis d'opposition et de mouvements de la société civile, aiguillonnée par le collectif de rappeurs "Y'en a marre!", ainsi que sur celui du chanteur et businessman Youssou N'Dour, évincé de la course à la présidence. Cet atout, face à un "Gorgui" -le Vieux, en wolof- qui ne peut se prévaloir du moindre désistement, est aussi une faiblesse. Cimentée par la doctrine du TSA -Tout sauf "Ablaye"- la coalition anti-Wade rassemble sous son étendard libéraux grand teint, afromarxistes assagis, jeunes branchés urbains et vétérans du marigot sénégalais. Diversité un rien embarrassante quand viendra le temps de gouverner, mais nullement rédhibitoire à l'heure des isoloirs. A condition que la mécanique du report des voix fonctionne pleinement.
Pour conjurer l'implacable loi des chiffres, Wade aura, durant la campagne d'entre-deux-tours, exhumé toutes les ficelles de son arsenal; y compris les plus usées. Pour preuve, la cour assidue et onéreuses dont il a gratifié les dignitaires religieux des confréries mouride et tidiane, ainsi que les notables provinciaux, chefs de villages et caciques traditionnels. Si le sortant a décroché ainsi l'imprimatur de marabouts locaux ou de "gourous" influents -tel le cheikh Béthio Thioune-, il n'a pu arracher le ndiguël du khalife général des mourides, décret religieux censé dicter aux fidèles "le bon choix".
Wade compte sur les abstensionnistes
Abdoulaye Wade compte aussi sur la cohorte des abstentionnistes -près de la moitié des 5,3 millions d'électeurs inscrits ont zappé le premier tour-, dont il estime qu'ils lui sont majoritairement acquis. Pensée magique? Divers indices attestent que la machine à gagner s'est grippée. Citons à titre d'exemple les défections implicites de barons du Parti démocratique sénégalais (PDS), exaspérés par la dérive monarchique d'un chef qui a longtemps tenté d'installer à la hussarde son fils Karim dans le fauteuil du dauphin. Quelques erreurs tactiques indiquent en outre que Wade, pourtant connu pour son habileté manoeuvrière, a perdu la main, voire son sang-froid. L'ostensible mépris affiché envers des rivaux dont aucun ne lui paraît digne de lui succéder aura été contre-productif. De même, le candidat sûr de son fait menace-t-il les citoyens de son fief natal de transplanter ailleurs les projets promis si d'aventure ils s'avisaient de "mal voter"? Enfin, il y a quelque chose de déroutant à suggérer que l'on s'effacera après trois ans, période requise pour "achever" les chantiers d'infrastructures entrepris. Quémander un demi-mandat, n'est-ce pas s'en tenir à une moitié d'ambition ?
Redouté par Macky Sall et les siens, le recours à la fraude électorale ne saurait être négligé. Mais on voit mal comment il suffirait à inverser le verdict des urnes. Entretenue et renforcée par un formidable réseau d'ONG citoyennes, la culture démocratique la plus vivace de l'espace ouest-africain procure un antidote efficace. Quant aux observateurs de l'Union européenne et de l'Union africaine, ils ont prouvé jusqu'alors combien leur mission leur tient à coeur. En clair, si l'appel aux électeurs fantômes et les achats de vote sont susceptibles de jouer à la marge, il est bien plus malaisé de tricher au Sénégal qu'au Gabon, au Cameroun, au Congo-Brazza ou en RDC.
Le moment est venu pour la patrie de Senghor de boucler la boucle amorcée à la faveur de l'alternance exemplaire dont un certain Abdoulaye Wade fut en l'an 2000 l'acteur et le bénéficiaire. La quête de la maturité politique n'est jamais un aller simple. Pour valider son ticket démocratique, il faut avoir vaincu à la régulière puis reconnu sa défaite avec élégance.

Par Vincent Hugeux, publié le 25/03/2012 à 12:31, mis à jour à 12:32

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